Belledonne for ever
Publié le 17 Janvier 2016
Comment en arrive-t-on à faire une sortie comme celle-ci ? Se justifier, Informer, expliquer ? Un peu des trois à la fois ? Compte tenu des nombreuses réactions d'enthousiasme qui ont suivi mon compte-rendu sur Facebook, je me devais de tempérer et de relater comment on finit par se retrouver dans de grandes pentes en solo avec un mètre de neige fraîche.
Pressentant des éclaircies vespérales, je choisis un secteur en versant ouest que je sais habituellement peu venté. Je pars vers 14h du parking dans l'espoir de faire des photos au couchant sur une crête sans histoire vers 2000 m.
Je pars sur "mes terres" en Haut Bréda. La neige est là. 30 cm à 950 m à la Ferrière et la couche augmente au fur et à mesure de la montée. Une trace de montée du matin, recouverte par dix centimètres tombés dans la matinée me permet d'éviter une grosse trace jusqu'à la sortie de la forêt. C'est bon ça. En revanche, il faudra suivre la piste à la descente car l'enneigement est insuffisant dans la forêt. A 1600 m, j'émerge du couvert forestier et tout ce qui est en-dessous ne sera pas vraiment du ski même si cela reste sympa de glisser sur une piste suffisamment raide dans la poudreuse de l'hiver. La partie skiante sera courte ; aussi, comme le ciel se dégage, je suis très tenté d'aller voir plus haut. J'ai encore du temps avant la nuit. La première pente qui se redresse pour sortir à 35° sur un plateau ne semble pas avoir subi les effets du vent. Il y a cinquante centimètres de poudreuse impalpable sur un fond dur. Cinquante centimètres de "semoule" sans la moindre cohésion. Je suis serein et sors sur le plateau à 2000 m.
Et là, c'est vraiment la wilderness. Je fais une véritable tranchée ; c'est la bagarre pour progresser mais on se croirait au bout du monde. Seul ici à cette heure, des chamois partout sur les crêtes, ça n'a pas de prix.
Le vallon se resserre. Je reste bien au centre pour être à l'abri de tout déclenchement aux abords des crêtes. La neige ne m'inquiète toujours pas, du moins, là où je trace. Mais au-dessus ? Je sais déjà que je ne "sortirai" pas. Au fond du vallon, la pente se redresse, inexorablement. Pour finir sur un couloir en Y. Quelle que soit la branche choisie, il faudra finir avec un entonnoir qui semble chargé sous les assauts du vent. Les conversions deviennent abominables. La neige me paraît d'une étonnante stabilité. Je ne trouve pas la moindre cohésion sur un mètre d'épais. Mais une fois dans un des deux couloirs, je ne serai plus à l'abri si ça part en-haut. Et comme il est 17 heures, je stoppe comme pressenti à la branche du Y. C'est déjà dément d'être arrivé là. Pour finir de me convaincre, la pénibilité de ce qu'il reste à faire, pour trois virages...
L'instant est très fort. Dans ces moments, on prend toute la mesure de ce que l'on vient chercher ici. Il n'y a rien d'autre à dire.
Au-delà de la qualité de ski entre 2300 et 1600 m d'altitude, ce qu'il restera de cette sortie, c'est cette immersion solitaire du soir dans des paysages immaculés avec pour seuls compagnons, des chamois m'épiant depuis les arêtes déchiquetées. Un moment fort qui n'est pas sans rappeler cette sortie, toutes proportions gardées et qui replace cette dernière, effectuée le 28 février 2015, comme peut-être le plus grand moment de ma vie de skieur.
Le film
Celui qui reste à la maison, passe à côté de ces moments-là. Celui qui va à leur rencontre prend forcément des risques. Avec de telles quantités de neige, on ne peut être sûr de rien. L'actualité nous l'a rappelé. On est passé de zéro à douze morts par avalanche en l'espace de deux semaines. Ce n'est rien à côté des (presque) 300 noyés annuels dans un milieu beaucoup plus facile à maîtriser. Mais ce sont douze de trop. En sortant dans la poudre, on multiplie les chances de faire partie de ces statistiques macabres. En le faisant seul, encore davantage.
Ce jour-là, j'ai bien "senti" la neige mais je ne me risquerais pas d'affirmer quoi que ce soit. D'autres auraient peut-être eu le sentiment inverse.