Putain de Moine
Publié le 7 Août 2016
Entre la neige qui doit encore rester sur la partie haute et le mauvais temps annoncé pour mardi plus tôt que prévu et qui pourrait poser des problèmes en cas de bivouac supplémentaire, nous troquons l'arête sud de la Noire de Peuterey pour un aller-retour à la journée depuis le Montenvers à l'arête sud intégrale du Moine ce qui est déjà un ambitieux projet.
Bien nous en a pris car François récolte les fruits de la sortie en tee-shirt à Orny, ressentant les symptômes d'une "pseudo-bronchite". Midi à l'attaque. Le timing est respecté mais on n'a pas le droit à l'erreur si on veut passer sans bivouac et nous sommes partis light. Le départ nous prend du temps. Le topo c2c, trop précis, est très difficile à suivre. Le mieux est de se fier à son instinct et d'avancer. Ca grimpe plus que ne le laissent supposer les cotations mais ça le fait très bien en grosses. Ces Adidas Scope GTX, au risque de me répéter, sont vraiment exceptionnelles sur le granit. Je les recommande sans modération. Nous rattrapons une cordée partie le matin du refuge. Ils avancent très lentement et à les voir, seront à coup sûr loin du sommet à la nuit tombée. Je n'ose pas leur dire qu'ils devraient renoncer lorsqu'on se met à communiquer, de peur de passer pour un donneur de leçons. A mon grand soulagement, ils m'annoncent qu'ils vont battre en retraite car ils sont trop lents. Il est quatorze heures. C'est parfait pour nous. On pose un rappel de vingt-cinq mètres dans un couloir, signalé sur le topo mais personnellement, je ne suis pas emballé. La cordée qui nous précède et s'apprête à poser le rappel mais de l'autre côté en échappatoire pense que c'est ici, tout comme François. Je me rallie à la majorité, loin d'être convaincu. Une fois au bas on n'a plus le choix. On décide de tirer la corde. Et soudain, c'est le drame. Coincement. Irrécupérable. Le temps commence alors à s'écouler et on n'en a pas besoin. Il faut remonter. C'est difficile. La cordée qui n'a pas encore quitté l'arête se propose de nous lancer une corde. On accepte bien qu'intérieurement, j'aurais aimé me démerder tout seul. Retour sur l'arête. Près de quarante minutes de perdues.
Sagement, nous décidons de laisser tomber. La course est encore longue, mon compagnon n'est pas dans une grande forme physique et on n'a pas envie de passer la nuit avec une simple doudoune de deux-cents grammes. Cette décision ne nous coûte pas grand chose. Il fait grand beau. Le cadre est superbe et ça fait partie du jeu. N'ayant plus vingt ans, bien que restant "hyper actif" de par mes nombreuses sorties, je n'ai plus le même rapport avec "l'obligation du résultat".
Là encore, la cordée précédente nous propose de nous prêter sa corde de rappel (cent mètres) pour s'échapper plus facilement qu'avec notre unique brin de cinquante. Nous déclinons car il est tôt et on a tout à fait les moyens de nous en sortir avec notre matériel. Cela nous vaudra quelques ruses mais passera sans aucun souci. Pour la petite histoire, au passage, nous décoincerons la corde de nos voisins bloquée à son tour derrière un becquet. Match nul.
Au bas de la face, pause repas au soleil. On est bien là. Je n'ai aucun regret bien qu'il y ait forcément un petit goût d'inachevé. François préfère ne pas traîner pour essayer d'attraper le train bien que n'ayant pas pris le billet retour car pensant rentrer à la nuit. De mon côté, je décide de profiter de la beauté des lieux, de rester ici à contempler et de rentrer plus tard à Chamonix. Je passe une heure à flâner. Dix-sept heures. Les bonnes choses ont une fin. Je plie les affaires et attaque la descente. Glissade sur névés, refuge du Couvercle, sentier, échelles, mer de glace... Une heure quarante après avoir quitté le pied de la face sud du Moine je suis au Montenvers. L'endroit est désert. Coup de fil à François. Les enc... de la compagnie du Mont-Blanc ont refusé de lui faire payer la différence entre l'aller simple et l'aller retour (5€50) et lui demandaient 25€ pour le retour. Il a eu beau leur expliquer les circonstances (on n'a pas pris le retour car on devait faire telle course et on serait rentré à la nuit mais comme je suis malade etc), rien n'y a fait. Il a donc décidé de rentrer à pied par le sentier bucolique des Mottets.
De mon côté, je trace en empruntant la ligne de descente la plus directe qui m'amène à Chamonix en une petite heure.
Une belle journée en montagne même si on n'a pas fait la course désirée. C'est ça aussi la montagne. Comme l'aurait dit Georges Brassens et se plaisait à le répéter en toutes circonstances mon regrété ami Nicolas Cardin : putain de Moine !