Ranxerox
Publié le 17 Juin 2017
Il y a près de vingt ans, mon ami François (Thirion), me proposait une virée à la tête d'Aval pour gravir "le trou noir", une voie côtée ED à l'époque. Sans doute un poil surcotée mais tenant compte de l'équipement d'époque sur de nombreux spits de 8 parfois bien espacés (avec un équipement moderne sur goujons bétons, on serait sans doute dans le TD+). Je me souviens d'une sacrée belle journée durant laquelle, l'orage nous avait nargué du début à la fin. La météo était annoncée maussade ; c'est pourquoi nous avions choisi une face sur laquelle nous pourrions battre facilement en retraite. Dès la première longueur, des gouttes tombaient mais sur ce rocher ultra adhérent et sculpté, nous avions avancé et atteint les vires par lesquelles on peut s'échapper à gauche. Le mauvais temps se tenait sur les Ecrins et nous avions continué. Jusqu'au fameux trou où, par chance à ce moment-là, nous nous étions abrité pour laisser passer une averse aux trombes d'eau anéantissant toutes nos chances de terminer la voie. Nous avions attendu la fin de l'orage avant de tirer les rappels. Je me souviens avoir empoigné les cordes, fait deux mètres et crié à François : "en fait, le rocher est hyper adhérant et ça sèche vite !". Et ainsi, nous avions terminé la voie !
J'avais, à l'époque, entendu parler de la mythique Ranxerox, du même style mais plus soutenue et près de deux fois plus longue et avec deux longueurs en 7a. C'était pour moi le mythe inabordable avec mon niveau, d'autant que le "Trou Noir" s'était avéré à la limite de mes possibilités d'alors (6b à vue et encore, pas dans tous les styles). Et puis, les choses ont évolué depuis 2011 et cette voie est entrée dans le domaine du possible. Il restait à y aller. C'est chose faite avec Julien une fois de plus. Bon ça n'a pas été comme je le voulais, la faute à la conjonction de trois facteurs :
- La nuit dans le Partner au parking et la surprise du matelas percé confisquant du sommeil réparateur ;
- Le soleil : la voie passe rapidement au soleil (je l'imaginais un peu plus protégée à l'est) mais surtout, pas de courants d'air thermiques et des températures un poil plus chaudes que ce que je prévoyais. Pas la canicule non plus mais trop chaud à mon sens. Ca dépend aussi des comportements physiologiques des uns et des autres mais personnellement, je déteste grimper au soleil, sauf s'il fait frais.
- Les chaussons : Julien m'a démontré non seulement l'efficacité de ses ballerines pour ces adhérences mais surtout pour le confort. Je suis sorti les pieds ruinés du deuxième bastion (le soleil n'arrangeant rien). Autant dire que les sept longueurs du troisième bastion (une grande voie à lui seul !) ont été très difficiles. Un grand merci à Julien d'avoir accepté de souffrir sur deux longueurs en me prêtant un de ses chaussons (en fait, j'ai un pied bien plus fort que l'autre et le pied gauche ramasse toujours plus vite que l'autre).
Pour le reste, la voie est majeure. Elle ma vraiment confronté dans mon point de vue apporté sur le sujet de la reconnaissance des premiers très récemment évoqué ici. Quand on sort d'un tel voyage, la première chose qu'on a envie de crier, c'est un immense remerciement aux ouvreurs et à leur travail. N'hésitez-pas à vous procurer l'excellente dernière version de "Oisans sauvage, Oisans nouveau, livre est" de Jean-Michel Cambon dans lequel figure cette voie comme plus de 400 autres et tout un tas d'anecdotes croustillantes.
En ce qui concerne Ranxerox c'est :
- 20 longueurs !!! entre 5c et 7a(++) y compris deux longueurs en 3/4 de jonction des trois bastions
- un rocher remarquable du début à la fin, sur lequel la clé ne sera pas d'avoir des avants-bras (un minimum quand même hein) mais de savoir poser ses pieds
- un équipement à la perfection. Ni trop près, ni trop loin. Béton. Les fois où les points sont un peu loin, les derniers pas se font toujours avec de bonnes prises dans les mains et on ne se fait pas peur
- un niveau 6c à vue recommandé
- un itinéraire où ça ne court jamais quelle que soit la cotation (plutôt de type "old âge" - aux habitués des cotations modernes, rajouter un + partout).
6b ; 6b+ ; 6a ; 6a ; 6a ; 4b ; 7a ; 6b+ ; 7a ; 6c ; 5a ; 6a+ ; 3b ; 6b ; 6a ; 6a ; 6b ; 6b ; 6b+ ; 5c (!!!)
En ce qui concerne la logistique :
- trois litres d'eau pour deux, une petite laine chacun et de quoi grignoter, le tout dans un petit sac à dos porté par le second. Il s'allègera donc au fur et à mesure de la montée. Pour le dernier bastion, nous l'avons laissé au bas et grimpé avec une petite bouteille de 50 cl d'eau chacun au cul.
- descente par les quatre rappels du dernier bastion (+un petit en-dessous pour éviter la désescalade du couloir) puis les quatre rappels du grand toit. Rappels ultra efficaces. Aucun coincement de corde possible et la corde est directement installée pour le rappel suivant quand on l'a tirée. Ensuite, descente par les vires et cordes fixes pour retour au bas de la face (mais pas au départ de la voie). Cela fait gagner un peu de temps sur l'ensemble (par rapport à une descente en rappels menant au départ de Ranxerox) mais oblige à monter les baskets.
- 8h30 d'escalade et une pause de vingt minutes à l'ombre en haut du deuxième bastion.
Une petite remarque pour finir. Pas une autre cordée ce jour dans cette face qui comporte des dizaines de voies dont certaines abordables et plus ou moins longues, toujours sur un rocher magnifique. Je suis venu trois fois ici et une fois seulement j'y ai vu une autre cordée. Cette face :
- est-elle passée de mode ?
- fait-elle peur ?
Comment est-ce possible ?