Conditions délicates et hécatombe
Publié le 3 Mars 2018
Ces derniers jours ont été les plus meurtriers de l'hiver côté neige. Très souvent, l'instabilité fait fi des bulletins nivo/météo. Risque 3 ou 4, rien ne peut bouger ou au contraire, partir dans tous les sens. Cette instabilité-là est très difficile à anticiper. On remarque que chaque saison, les accidents sont concentrés sur quelques jours de situations particulières pas toujours faciles à identifier a priori. Je passe sur les commentaires à gerber de certains médias et internautes souvent néophytes et peu respectueux de ceux qui restent. Je passe aussi sur ceux qui jettent la pierre à Météo France, d'autant plus affaibli par une situation de grève justifiée par une baisse importantes de moyens annoncée. Les prévisionnistes peuvent se tromper dans les deux sens. On peut le remarquer mais de là à tirer un boulet rouge... On ne peut pas affirmer avoir été induit en erreur par Météo France. L'erreur, c'est celle de celui qui est sur le terrain. Cette instabilité s'est vérifiée aujourd'hui à côté de la maison : Belledonne et Chartreuse.
Ce samedi, la journée commence par un bonhomme de neige à côté de la maison avec les filles histoire de profiter de cette chute de neige imprévue en plaine. L'après-midi, je pars faire un tour dans le "jardin". Marie m'avait demandé quelques idées ; aussi, je sais qu'elle doit venir y faire un tour et envisage de faire une montée/descente avec elle. Au parking, je pars en direction de la Dent mais dès la sortie de la forêt, je suis accueilli par les bourrasques de vent de nord et la neige est bien accumulée. Je sais déjà que c'est compromis pour le pas de l'Oeille. Arrivé en haut de la prairie, la grande traversée est étonnamment stable : des accumulations certes mais très étroites, entrecoupées de portions majoritaires où on sent le fond dur. Je pousse jusqu'à l'entrée du premier couloir. Une accumulation importante mais surtout le manque de visibilité au-dessus m'incitent au renoncement sans regret. Première descente bien dense où il aurait fallu des skis plus larges que mes 94. Je remets les peaux et monte à Pravouta en même temps que le soleil fait son apparition. Entre temps Marie sort de la forêt et ne reçoit pas le sms que je lui envoie et l'invitant à me rejoindre sur Pravouta. L'apercevant de loin monter dans la prairie, je la rejoins et on poursuit avec le soleil. Un peu de crayonnage pour limiter le bottage et nous voici au pied du pas de l'Oeille, au niveau de mon point de retraite d'il y a une heure.
Cette fois, la visibilité est excellente et le premier couloir est "safe". Marie décide de s'en tenir là car les skis zippent sur la neige dure. Pour ma part, je sors du premier couloir mais m'aperçois que la pente à droite est bien chargée et peut partir. Hors de question d'aller donc sur la droite. Je m'arrête sur la vire du câble et enlève les peaux. Au moment de partir, j'appuie un ski sur la vire et comme pressenti, une petite plaque se détache à deux mètres sur ma gauche (en regardant l'aval) par vibration. Cette plaque de type "chaude" glisse lentement, ralentit au niveau du léger replat mais finit quand même par sauter la petite barre ce qui lui donne suffisamment d'inertie pour plonger jusqu'à la Gorgette.
Bon point pour moi : le piège avait été détecté.
Mauvais points : déclencher est toujours une erreur ; ensuite un petit morceau de la plaque prend la direction du couloir de montée et aurait pu toucher un skieur engagé (l'emporter ? je sais pas, petit volume mais ça a parfois tellement de force...). J'appelle Marie en lui disant de bien rester à l'abri (je n'en n'étais pas totalement certain - troisième erreur ; de communication) et l'incident s'arrête là. Je la rejoins et nous repartons sur Pravouta dans une neige bien lourde.
A noter :
- Le caractère spécial de la pente dû au fort enneigement (4 mètres de neige sur la vire du câble) ayant comblé le ressaut et la présence d'un bombé favorable aux ruptures.
- Le vent (de sud cette fois) de la nuit suivante qui a complètement redistribué la donne et durci (solidarisé) la neige : Aurélien a pu passer (à pieds) sans encombre le lendemain (je n'irais pas jusqu'à dire sans risque mais ça, on ne le saura jamais).
- En montant sur Pravouta, nous apercevons l'hélicoptère de la sécurité civile qui arrive et se dirige immédiatement vers le point de rupture. Il reste en stationnaire. Je comprends alors que quelqu'un a vu l'incident de loin et a prévenu, dans le doute... Je fais alors le 04 76 22 22 22 afin d'informer la CRS que tout va bien. Quelques secondes après, l"hélicoptère repart. Moralité du truc : dans un coin fréquenté ou aux yeux d'un coin fréquenté, appeler immédiatement après tout incident histoire de dire que tout va bien et éviter un éventuelle mobilisation inutile.