Publié le 18 Décembre 2010
La force est avec nous. Qu'espérer de mieux, pour cette traversée dont la date était bloquée depuis plusieurs semaines, qu'une grosse chute de neige la veille du départ suivie d'une journée de grande beau sibérien, alors que deux jours avant l'itinéraire n'était pas praticable sans déchaussages ?
L'histoire commence aux Jarrands où Marco et moi-même, partis de Grenoble, devons retrouver Jeannot et Joël venus du sud et ayant passé la nuit à Méaudre. Nos deux compères arrivent difficilement et avec du retard. Et pour cause : il fait -25°C et le gasoil gèle dans leur véhicule. Nous sommes contraints de le laisser sur place et de partir avec le Trafic de Marco. La dernière partie du col du Rousset au plateau de Beurre est recouverte de 15 cm de neige depuis le dernier passage des lames mais avec quatre pneus neige, ça passe et on peut enfin décoler à 9h30.
Dès le départ, le ton est donné. -20°C, arbres givrés et pas une trace. Faire cette grande traversée nordique avec l'espoir de chercher son itinéraire et de devoir tracer une grande partie du parcours est sans doute un rare privilège.
Une neige de cinéma et une grosse pensée pour Laurent et Philippe Barbero qui auraient dû faire partie de l'équipe mais qui sont restés dans le sud pour le départ de leur père. C'est sûr, Jacques a certainement mis sa touche de peinture sur ces paysages immaculés.
On s'éloigne peu à peu du côté un poil civilisé du départ (petite station familiale du col du Rousset) pour se diriger vers le pas des Econdus...
... où l'on prend toute la mesure de la traversée qui nous attend. L'objectif est de parcourir la cinquantaine de kilomètres qui nous sépare des Jarrands via un petit détour au pied du Grand Veymont par la plaine de la Queyrie, en deux jours après une nuit à la cabane de la jasse du Play. Elle se situe sous le pas de Berrièves ; sur cette photo à l'aplomb du second col bien marqué en partant de la gauche. C'est une des seules cabanes en bon état et elle est située à peu près à mi-chemin.
Des paysages à couper le souffle. Nous sommes équipés de skis nordiques. Ce sont des skis assez larges (60 mm au patin avec carres metalliques et une partie avec écailles permettant de ne pas permettre les peaux à chaque petite remontée). En outre, le large débattement de la fixation, le poids des skis (1800 g la paire en 169 cm fixation comprise) et le poids des chaussures, comparable à celui de chassures de randonnée à tige haute, permettent un grand confort.
Nous attaquons la plaine qui mène à Pré Peyret. Avec toujours ce même privilège : celui de faire la trace.
Nous apercevons tout au loin dans nos traces trois randonneurs mais nous ne les verrons pas car ils birfuqueront vers un autre itinéraire.
Nous approchons de l'entrée de la plaine de la Queyrie, au-dessus du pas de Chabrinel, où il nous semble apercevoir une trace de raquettes. Ce sont en effet des randonneurs montée depuis le Diois. Durant une trentaine de minutes, nous profiterons de cette trace puis la laisserons partir en direction des Chaumailloux.
Il faut retracer un peu avant le fameux arbre taillé ce qui n'est pas pour nous déplaire. Le vent se lève un peu en même temps que le ciel se charge rapidement à l'ouest.
Il fait bien froid en arrivant sur le plateau au-dessus du pas des Bachassons où, à presque 2000 m, nous passons au culmen de notre traversée. Avec la température qui n'aura pas excédé les -10°C de la journée, il faut remettre la doudoune.
La lumière reste superbe. Nous comptons plus de 50 bouquetins agripés aux pentes du Veymont, parfois dans des pentes glacées bien raides, avant de plonger sous le pas des Chattons. Le coup d'œil à l'ouest est également magnifique avec une lumière metallique due aux nuages et au flux de nord.
La descente ne négocie très prudemment : d'abord les cailloux ne sont jamais loin et en plus, nous ne sommes pas des as du télémark, surtout avec ces chaussures souples. Il n'y a aucune tenue de la cheville. Marco, habitué du ski de fond, se débrouille plutôt bien ; pour les autres c'est du C.O.P. (comme on peut).
Les nuages nous ont ratrappés sous la barrière ouest du Veymont où il faut toujours tracer. L'itinéraire est facile à trouver car la visibilité est bonne est les sommets servent de repère. Sans ces deux paramètres ce serait une autre paire de manches, d'autant que nous n'avons pas de GPS (non mais, un peu d'aventure !). On passe à la fontaine des Serrons puis on se dirige vers la jasse de la Chau.
Le sac étant déjà un peu rempli (sacs de couchage grand froid, tapis de sol et vivres pour 48h), j'ai fait l'impasse sur le reflex d'autant que l'avoir en permanance autour du cou n'est pas d'un grand confort. Pour la première fois je ne regrette pas car le S95 emporté pour l'occasion fait vraiment de superbe images. Seul un œil très averti pourra y voir une infime différence sur ces photos de paysages et d'ambiance.
Au-delà de la jasse de la Chau, nous tombons sur une trace du jour venant du pas de la Ville et qui va dans la bonne direction pour nous. Nous la suivons en même temps que le soleil revient très vite après une petite averse de neige.
La lumière est encore plus belle ; le Veymont resplendit et s'éloigne un peu plus. Il est déjà 15h. Faut dire qu'entre la grande pause déjeuner dans la Queyrie et la trace à faire, les minutes défilent vite.
La trace part subitement vers l'ouest. Comme nous ne savons pas où elle va, nous continuons à suivre notre cap et il faut à nouveau tracer. La forêt est un peu plus dense et il est difficile d'anticiper. Certains passages un peu raides pour franchir des talwegs mettent à rude épreuve nos bras car les écailles ne suffisent pas toujours. Mais elles permettront de ne pas avoir à remettre les peaux.
En arrivant à la cabane, nous retrouvons la trace venue du pas de la Ville : le gars est passé plus à l'ouest. Il est seul et est allé faire un tour jusqu'au pas de Berrièves.
Jeannot et Joël se chargent d'allumer le poële pendant que Marco et moi montons sur la butte juste à l'ouest pour profiter des dernières lumières de la journée.
Le plateau sommital du Veymont est de toute beauté ; enfin quel que soit le côté sur lequel le regard se pose, tout est beau.
Cela peut paraître difficile à comprendre mais c'est un véritable luxe que d'être là, dans ces paysages sublimes, malgré le froid (le thermomètre indique -17°C au coucher du soleil et -1°C dans la cabane avec le poële à plein régime).
La barrière du Vercors s'embrase. Les doigts sont gelés, les pieds tout autant. Cette preième journée est une réussite totale.
Il est temps de prendre congé dans la cabane, d'essayer de se réchauffer un peu et de refaire le plein de munitions avant l'étape du lendemain. La nuit sera finalement très bonne, bien au chaud dans nos gros duvets (sauf Marco parti avec un duvet "moyenne montagne", sauvé par le sur-sac de Jeannot) après une soirée sympathique en compagnie d'un cinquième personnage, venu de Gresse lui-aussi en skis nordiques et semblant bien rodé pour ce genre de minis expés.