J'en ai déjà parlé sur ces pages mais le sujet est plus que jamais d'actualité. Je me faisais la remarque en remontant tranquillement les pentes de la dent de Crolles cet après-midi quand le soir même, je tombe sur un coup de gueule de Jeroen, le webmaster du site Skitour. Pour ma part, j'éviterai le coup de gueule, partant du principe que tout cela reste du loisir et que la montagne est à mes yeux un des derniers espaces de (presque) totale liberté. Cette liberté implique que chacun est libre de tracer comme il l'entend et le suiveur, libre de retracer s'il n'est pas content...
La montagne espace de liberté mais aussi, du moins je l'espère, de respect. Et c'est là que ça devient contradictoire car dans un sens, il s'agit de respecter les choix des uns et des autres mais en même temps, on peut aussi se poser la question du respect des suivants quand on trace, tant au niveau de la sécurité que de l'effort. Bon, là ça devient trop philosophique ! Je voulais simplement attirer l'attention sur le fait que les idées toutes faites des uns (ceux qui pensent qu'ils sont libres de tracer et que les suivants n'ont qu'à recommencer en cas de mécontentement) et des autres (ceux qui pensent que ceux qui tracent sans penser aux autres sont égoïstes) trouveront argument contraire et bien orgueilleux celui qui pourra s'ériger en juge de paix en dictant la ligne juste.
Pour ma part, je souhaite simplement donner ma version d'une belle trace, d'une bonne trace, de l'art de la trace. Une bonne trace, c'est d'abord une trace qui pourra être utilisée par tout le monde (c'est aussi un plaisir de savoir que d'autres profiteront de notre "travail"). Si elle est trop raide, elle en rebutera certains voire beaucoup. C'est une trace qui pourra être utilisée longtemps. Avec les chaleurs actuelles sur les pentes sud, la trace regèle pendant la nuit, devient lissée et si elle est trop raide, est impraticable sauf avec des couteaux, engins aussi perfides qu'inutiles et qui feront l'objet d'un autre billet en temps voulu. Mais une bonne trace, c'est d'abord pour soi-même une trace qui permet de faire un gros dénivelé sans (trop) se fatiguer. Quand vous êtes cuit, essayez de suivre, lors d'une ultime montée où vous savez qu'il va falloir serrer les dents, une trace trop raide : on s'arrête tous les vingt pas pour souffler alors qu'il suffirait de pousser les skis tranquillement.
Non ! Une trace raide n'est pas plus efficace. Bien sûr, si on prend comme point de comparaison une verticale race (entre 500 et 1000 m de dénivelé), alors, pour des athlètes, la ligne droite sera la plus efficace (jusqu'à un certain point d'adhérence évidemment) mais pour neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf personnes sur mille, une trace trop raide est plus fatigante. Certains gros mollets ne s'en aperçoivent pas car ils la font sur de courts dénivelés et avec la grosse cale arrière de la talonnière et continuent de penser que pour eux, c'est leur meilleure trace mais en suivant une pente plus douce, ils iraient plus vite, sans forcément faire plus de pas car le débattement de la foulée serait meilleur. Seule la distance en serait rallongée mais en y regardant bien, on ne rallonge pas grand chose à tracer moins raide. On notera par ailleurs que dans les compétitions telles que la Pierra Menta, là où le chronomètre est LE critère, qui plus est sur des épreuves endurantes, on ne trouve aucune trace raide.
Un autre point important reste les conversions. Elles procurent une fatigue supplémentaire. Il faut s'arrêter, soulever le ski et faire la manip'. On observe beaucoup de conversions là où ça passerait en courbe mais surtout, des conversions en plein centre d'une pente, sans en exploiter toute sa largeur. Lors de ma dernière sortie au Grand Replomb, nous avons observé un randonneur solitaire vers le rocher de l'Homme : une bonne vingtaine de conversions, de plus en plus rapprochées, là où il en aurait suffit de quatre !
Comme tout art, l'art de la trace s'apprend. Le ski de randonnée devient une activité de masse et c'est un succès logique compte tenu de sa triple réponse (rapidité, sécurité, plaisir) sur un itinéraire enneigé. Ce succès s'accompagne de traces multiples et les premiers ne sont pas systématiquement les plus expérimentés d'où une floraison de mauvaises traces. Si la sécurité passe en premier (trace à adapter à la présence d'éventuelles coulées de neige, du risque de plaque, du risque de blessure en cas de glissade...), le second critère demeure l'effort et l'optimisation de celui-ci passe par la minimisation du nombre de conversion et une inclinaison raisonnable. Pour cela, il proscrire les cales hautes (sujet déjà abordé sur ce blog - qui serviront éventuellement lors de grosses traces profondes et encore, j'en reviens de plus en plus) : les fixations de compétition donnent la bonne ligne avec 36 mm sous la talon. Le problème vient aussi en partie de fabricants qui proposent des modèles grand public (TLT Speed Turn, Plum Guide) avec des cales de base monstrueuses (50 à 60 mm), limitant le débattement et incitant à tracer un peu plus raide que ce qu'il faudrait. Ne pas se servir de la cale lorsqu'on est dans une trace (enfin, une bonne !) et ne la mettre que pour tracer en profonde peut aider à adopter la bonne inclinaison (autour de 15%).
PS : j'ai donc retracé la montée à la Dent presque en intégralité cet après-midi, avant une belle descente vers 15h avec Phil croisé là-haut.