Si on m'avait dit que je vivrais un confinement qui arriverait aussi brutalement que celui de mars je n'y aurais pas cru. Une drôle d'année que ce cru 2020 même si je n'ai pas vraiment à me plaindre, loin de là, jusqu'ici. J'entends déjà des voix disant qu'en ces temps où les gens affluent dans les hôpitaux pour des problèmes beaucoup plus graves, il n'est pas opportun de discuter sur ce sujet. Pourtant, la misère du monde a toujours existé, y compris aux portes de chez nous (SDF, chômage et pire...) et pourtant, cela n'empêchait pas chacun d'entre nous de vivre sa vie en espérant y échapper ou en s'évadant un moment pour oublier ses propres soucis. Jusqu'ici, personne n'avait honte d'aller chez le médecin et de profiter de la sécurité sociale pour un "petit" bobo pendant que d'autres luttaient pour survivre. A moins d'un cas de force majeure de type guerre mondiale, il n'est pas malvenu d'observer la situation et de la critiquer de manière constructive.
Ce nouveau confinement prête parfois à sourire tant il y a de dérogations possibles. Et pourtant, il faut bien continuer à vivre. Le retour de la chasse dans nos forêts en a fait bondir plus d'un. Il est vrai qu'à première lecture, cela peut faire s'hérisser les poils quand on voit qu'en parallèle, une balade sur un petit sentier à deux kilomètres de chez soi est passible de 135€ d'amende. Mais pour comprendre cette mesure, il faut remonter plus en profondeur dans le sujet. Tout d'abord, à titre personnel, je conçois ce confinement comme une privation de nature et de loisirs en général, essentiels à l'équilibre de chacun. Je ne débattrai pas sur l'utilité d'un tel confinement ici. D'ailleurs, bien malin celui qui pourra affirmer sans l'ombre d'un doute son utilité ou son inutilité. Laissons cette question aux spécialistes médicaux (déjà pas tous d'accord entre eux) et surtout à l'histoire à écrire qui nous apportera peut-être des réponses. Mais ce qui m'intéresse dans cette discussion, ce sont les conséquences d'un tel confinement, à mon avis assez graves en terme de santé : impact mental jusqu'à la dépression, violences conjugales, mauvais équilibre de son corps... Mais aussi en terme économique malgré certaines aides de l'Etat. J'ai donc tendance espérer un assouplissement plutôt qu'une restriction ; souhaiter la réouverture de la nature à tous, plutôt que la fermeture aux chasseurs. Jalouser son voisin parce qu'il peut faire quelque chose qu'on n'est pas capable de faire ou qui nous est interdit n'est pas constructif pour soi-même. Je préfère de loin essayer de progresser moi-même...
Le deuxième angle de réflexion concerne le fonctionnement de la chasse elle-même. Si elle demeure une activité de loisir pour le chasseur, aux yeux de l'Etat, elle reste aussi une activité "professionnelle" réalisée gratuitement par des bénévoles (on fait des économies ainsi...) afin de répondre à des questions de régulation. Ce qui induit une grande question : la régulation est-elle nécessaire ? Ma grande divergence avec le monde rural est que je pense que la nature se régule d'elle-même : pas besoin de chasseurs pour tuer les prédateurs qui s'auto-régulent en fonction de la nourriture disponible comme il n'y a pas besoin de moutons pour tondre la montagne ; pas besoin de chasseurs pour tuer les chevreuils et les cerfs qui sont régulés par les grands prédateurs, etc. Là où en revanche, je suis plus modéré, c'est sur la régulation en fonction des activités humaines. Je ne vais pas revenir sur ce point qui mérite un billet à lui tout seul mais oui, le loup gêne les éleveurs, les cerfs posent des problèmes aux forestiers, les sangliers créent des dégâts aux agriculteurs... Il est tout à fait légitime que l'homme essaie de se protéger pour satisfaire à des activités économiques indispensables (lister). C'est ce qu'il a toujours fait depuis la nuit des temps. Le hic, c'est qu'aujourd'hui, avec sept milliards d'individus, la sonnette d'alarme est tirée concernant la biodiversité. Par conséquent, nous devons en tout premier lieu épuiser toutes les solutions pour résoudre les problèmes sans régulation (protections, effarouchements etc). Il n'en demeure pas moins qu'une régulation peut s'avérer inévitable pour certaines espèces, essentiellement le sanglier, le cerf et le chevreuil, réintroduits dans la seconde moitié du XXè siècle après avoir été "surchassés". Certes ces réintroductions ont souvent été initiées par les chasseurs eux-mêmes, dans l'espoir ensuite de les chasser, mais en l'absence de prédateurs (le lynx est présent en toutes petites population et le loup revenu seulement en 1992), ces populations ont explosé.
Ce sont justement ces trois espèces qui justifient aujourd'hui ces opérations de régulation selon les plans de chasse établis pour le cerf et le chevreuil. Sans cette régulation, des dégâts seront à payer aux agriculteurs. Voilà donc pourquoi la chasse réouvre durant le confinement mais il faut garder présent à l'esprit que sauf opération locale ponctuelle (pigeon ramier, faisan - presque toujours issu de lâchers - à quand leur interdiction ?), la chasse aux 64 espèces d'oiseaux est fermée, de même que celle de ce qu'ils appellent le petit gibier. Pour clore la liste, il reste la situation des animaux considérés comme nuisibles. Je suis beaucoup plus radical sur ce point car la notion de nuisible n'a pas de sens : le cerf est nuisible pour le jeune sapin, le renard pour le poulailler, le lapin pour les salades du jardin... mais aucune espèce ne devrait être nuisible par définition car ce serait renier le principe de la chaîne alimentaire. A la limite si : une espèce non endémique jamais présente et introduite (exemple avec la pyrale du buis). Mais pour en revenir au confinement, il semble que la chasse au renard soit ouverte également. Il y a là un gros travail d'information à faire car avec le nombre de rongeurs qu'il élimine, le renard est bien plus utile qu'ils le pensent mais on sort là du sujet initial.
Cette analyse doit nous faire comprendre que cette réouverture (très partielle et limitée à quelques espèces dans des conditions plus strictes que d'habitude) n'est pas aussi illogique qu'on ne le pense et ne vient pas forcément des chasseurs eux-mêmes. Certes, le patron des chasseurs a travaillé dans ce sens mais la pression est sans doute tout aussi importante du côté des agriculteurs et des sylviculteurs. Néanmoins, des questions subsistent, les gens s'interrogent et des faits sont à remarquer :
- Certaines fédérations de chasse ont refusé la reprise : d'un côté, des départements qui refusent de séparer chasse-loisir et chasse-régulation, de peur qu'à l'avenir, cela tende vers une chasse professionnelle uniquement destinée à la régulation comme dans le canton de Genève ; d'autres, par respect d'un confinement strict (certes peu nombreux mais à souligner).
- Durant le premier confinement, avec des services de santé moins encombrés que cette fois (dans la région Rhône-Alpes-Auvergne en tous cas), on a interdit toute pratique outdoor afin d'éviter de surcharger la réanimation en cas d'accident grave et là on autorise la chasse. Est-ce cohérent ? Et c'est tout là le problème de ce confinement. Je suis intimement convaincu qu'une mesure, pour être acceptée par la population, doit limiter les incohérences, doit être claire et faire comprendre aux citoyens que c'est bon pour eux. Certes, la situation urgente ne permet pas d'être au point sur tout, soyons clair, mais il n'empêche qu'autoriser la chasse (20 morts/ans - à cause de l'arme - pour 900.000 pratiquants) et pas la randonnée (150 morts/an mais pour combien ? 50.000.000 de pratiquants potentiels ?) peut paraître une grande injustice. La comparaison reste difficile mais si on considère que le nombre d'accidents de randonnée augmente énormément durant les vacances d'été (les chiffres des secours sont là pour le confirmer), on peut considérer qu'à l'automne, la chasse est environ 10 à 20 fois plus accidentogène que la marche, sachant que le chasseur est aussi un marcheur quand il chasse.
- Toujours, sur la cohérence, là où de nombreux secteurs professionnels sont mal en point, les agriculteurs tirent leur épingle du "jeu" car le produit de leur labeur - la nourriture - reste indispensable. Ils continuent à vendre car il nous faut bien manger. Du coup, il semblerait cohérent qu'ils acceptent d'être aussi un peu touchés par les dégâts des sangliers non régulés, non pas pour priver les chasseurs de la chasse mais pour éviter qu'un chasseur blessé ne prenne la place d'un malade du Covid en réa.
- J'ai eu vent de plusieurs secteurs non exploités (agri/sylvicultures) par l'homme dans lesquels la régulation est active. De même dans les plaines quasi exclusivement consacrées à la culture du maïs et où celui-ci a déjà été récolté. Ce n'est donc pas de la véritable régulation et ce genre de généralisation rend plus discutable cette dérogation accordée aux chasseurs. Ne devrait-elle pas être effective uniquement dans les endroits où les espèces en question partagent les exploitations humaines ?
- Pour aller dans le même sens, il existe des chasses au chamois qui ont été rouvertes (Vosges par exemple, mais pas que). En quoi le chamois peut-il être nuisible à l'homme ?? Là pour le coup, avec toute la meilleure volonté du monde, je ne vois pas.
Pour ouvrir la discussion, le problème ne me semble pas être cette autorisation de la chasse ; en parallèle, les brevets d'état, les éducateurs sportifs, ont aussi le droit d'arpenter la nature dans le cadre de leur entraînement et c'est tant mieux. Et ils ne sont pas les seuls. Ne nous élevons pas par jalousie encore une fois. Ma conclusion (provisoire) serait plutôt la suivante :
L'accès à la nature me paraît indispensable pour des raisons d'équilibre mental et physique. Sa privation a également un impact sur nos vies professionnelles et sociales. Alors, plutôt que de pester contre la réouverture (très) partielle de la chasse, nous devons nous élever pour revoir cette règle absurde du "kilomètre-loisir". Je plains particulièrement le citadin de centre-ville avec son petit cercle d'évolution dont il ne peut utiliser qu'un dixième, 100% bétonné ou presque, avec des risques accrus pour la contamination en partageant cette surface avec tous ses voisins. Cette règle doit être revue. 10 kilomètres me paraît être un minimum si on maintient cette politique de "pseudo-confinement". En parallèle, à nous aussi d'être vigilants dans ce que l'on fait. Ce n'est peut-être pas le moment d'aller faire une goulotte de glace dans la face nord des Droites ou du parapente thermique. De même en voiture, nous devons redoubler de vigilance, comme à la maison en cas de bricolage. La majorité des accidents surgit par habitude d'un geste pouvant être dangereux mais banalisé depuis des années. A un moment ou à un autre, l'inattention porte préjudice. Militons donc pour un accès responsable à la nature et faisons-le avec réflexion et dans le respect des gestes barrière.
PS :
- Extrapolation. Je travaille dans un collège où des élèves se croisent par centaines dans un hall et des couloirs plusieurs fois par jour et on m'interdit d'aller me promener sur un sentier tout seul.
- Saturation et pensée. Les services de réanimation sont quasi saturés à Grenoble ; je suis extrêmement vigilant dans chacun de mes gestes et souhaite beaucoup de courage au personnel soignant et à tous ceux qui sont touchés plus ou moins gravement par le Covid-19
- Fatalité ? Bien qu'il soit une maladie très contagieuse, le Covid-19 n'est pas forcément une fatalité. Si nous nous retrouvons entre amis en catimini pour l'apéro du soir (interdit mais incontrôlable et donc couramment pratiqué), le risque est sans commune mesure avec celui d'avoir un accident grave en randonnée. Si nous ne nous lavons pas les mains très régulièrement, nous risquons davantage la contagion. A titre personnel, je prends très au sérieux l'application des gestes barrières !