Les guignols en montagne
Publié le 7 Avril 2013
Il est intéressant de prendre le temps d'expliquer ce qui peut amener des habitués de l'activité à cumuler un certain nombre de petites erreurs, fort heureusement sans conséquence aucune ce jour. Ou comment se retrouver dans une des pentes les plus raides du massif alors qu'on était partis pour de la rando. Depuis un mois et demi et plus généralement depuis fin novembre nous avons le droit à un temps de merde. Et par-dessus le marché quand il fait beau il y a la mer de nuages en moyenne montagne. La loi de l'emmerdement maximum, c'est quand cette mer de nuages bien haute ne se désagrège pas même au printemps (fait extrêmement rare). Samedi : la journée est annoncée pourrie. Pourtant, au-dessus de 2000 m, la visibilité est bonne avec un soleil très voilé. C'était plutôt prévu d'être couvert ; on avait fait l'impasse pour se réserver pour le grand beau annoncé du lendemain. Samedi soir, la météo confirme sauf qu'il y aura une mer de nuages à 1700 m. Caplain hésite même entre 1500 et 2000. Mais tout le monde s'accorde à dire qu'elle va disparaître l'après-midi. Pas de motiv' pour aller en Oisans avec des pentes d'altitude pas encore transformées. Du coup, je renonce à une matinale dans les Préalpes, de peur de ne pas sortir du brouillard. L'idée est de se lever tranquillement et de faire l'état des lieux en temps réel. Dimanche midi, pas d'amélioration ; les nuages ne se désagrègent pas. Il faut aller au-dessus de 2000 m. On attend le créneau pour faire une Dent de Crolles en transfo mais ce créneau ne vient pas. Marco jette l'éponge (il doit être de retour avant 18h). Stan est partant puis réservé puis motivé lorsque c'est à mon tour d'être démotivé. Vers 15h30, on tombe d'accord pour se taper la punition dans le brouillard et aller voir le soleil du côté de la Jasse.
On met quand même les crabes en alu dans le coffre au cas où. RDV à Crolles quand Marco rappelle. Au final, il est motivé et dispo jusqu'à la nuit et pour un beau sommet. Changement de plan et on se retrouve au col de pré Long peu avant 17h pour aller à la face NW de la Grande Lance de Domène (mais d'où m'est sortie cette idée de la tête ?).
On est vraiment légers, partis pour une rando tranquille ; on a seulement un litre d'eau chacun, deux trois barres de céréales et on a rien bouffé depuis midi. A côté de ça, 1700 m à faire avec en plus la trace à se coltiner dans la neige alourdie. 18h : on est au mont Saint-Mury à 2000 m.
Il reste deux heures de soleil pour gérer les traversées techniques avec même un peu de redescente pour se remettre dans l'axe de la Sitre, remonter le déversoir puis la pente finale de la face. Et encore, il faudrait attaquer la descente un peu plus tôt pour éviter la croûte de regel due à la tombée de la nuit.
Un premier passage avec un mur à 70° sur trois mètres nous ralentit. Il ne faut pas se la coller avec la petite barre en-dessous. Un second un peu plus haut où ça passe en peaux mais c'est un peu pourri et il faut purger la pente. Marco s'y colle.
On laisse pas mal d'énergie pour ces passages et il est un peu plus de 19h quand la petite troupe débouche à proximité du col des Lances. Stan, qui a des soucis avec une de ses pointes (+ rondelle) de bâtons qui quitte régulièrement le tube, jette l'éponge et nous attendra vers la Petite Lance. Marco est motivé, trace le cône, met les crabes et attaque bille en tête la pente.
Ambiance fabuleuse avec les nuages en-dessous et la soleil qui décline ; dommage que des voiles nous privent de l'embrasement final.
La chatière s'évite par un coup de cul plus chaud à gauche (cru 2013 oblige, ça devrait passer sans déchausser) puis on trouve la poudre en restant rive gauche.
Ces images reflètent bien l'ambiance de la journée. Une équipe sous équipée (crampons alu, pas de pioche ni casque pour Marco sur la photo) pour des pentes à 50° avec des passages à 55°, crépuscule ne laissant aucun répis. On brasse et on est bien entamé. Au-dessus, une corniche dix fois plus monstrueuse que ne le laisse penser l'image. On n'y pense même pas, on fonce vers le sommet, on sort sur la crête et on chausse.
19h45 : j'attaque le premier virage. C'est aussi raide que lors de mon passage en 2006. Les 50° bien tassés sont là. Neige froide ferme ne pardonnant aucune erreur. Un peu d'appréhension avant de partir car je n'ai plus trop l'habitude de faire du raide. Vais-je savoir tourner à nouveau dans une telle pente ? Fianlement, les virages s'enchaînent sans trop de difficulté. Les réflexes sont toujours là et je me sens même mieux que sept ans auparavant alors que je ne faisais que de la pente. Il faut dire que les conditions en haut de la face sont très bonnes. On surveille quand même la monstrueuse corniche qui nous domine. L'étroitue est une formalité mais on prend son temps avec la fatigue et la pente très forte à cet endroit.
Il n'y aura pas d'autre photo dans la descente ; il faut fuir la nuit qui arrive. On est rapidement à la chatière et on tire rive droite comme à la montée avec la certitude de skier la pente intégralement skis aux pieds par le passage repéré à la montée. C'était sans compter une petite surprise. Le passage est en neige très collante et, chose rare, ça botte à mort sous les skis. Marco est contraint de déchausser ; on a vite fait d'aller au tapis. Je tente de forcer le passage qui est très raide mais je crains de zipper à mon tour et me résous à déchausser pour nettoyer les semelles. La neige est littéralement collée dessus. Je n'y arrive pas. Sans crampons, je descends quelques mètres pour me mettre dans la profonde où c'est un peu moins raide afin de faire la manip. La suite de la descente est sans histoire. Le déversoir de la Sitre également où on retrouve Stan qui s'est bien refroidi. La neige a regelé et porte bien. Malheureusement, ça ne dure pas et on trouve ensuite une croûte de regel qui ne nous quittera pas jusqu'à la voiture. Il est 20h30. La nuit tombe. On n'a plus d'eau, on a quasi rien bouffé depuis midi, les cuisses chauffent. Pourtant, on encape pour échapper à la nuit. Après avoir prévu de skier intégralement le vallon de la Sitra, on change de plan. De nuit, sans trace, sans connaître et dans le brouillard, on n'a pas envie de passer la nuit à faire les sangliers. Du coup, on remet les peaux pour remonter 150 m en direction de la pointe de la Sitre où l'on retrouve la trace de montée que l'on ne quittera plus d'un chouïa. La remontée n'enchantait personne mais c'est limite moins fatiguant que la descente avec cette neige et ça permet de récupérer. On sait qu'on a fait le bon choix.
La descente du mont Saint-Mury, à la frontale dans le brouillard et la croûtasse immonde est un calvaire pour lescuisses. Même sur la piste forestière on en bave. Et même Marco le roi de la descente, c'est dire ! On finit lessivé. Epilogue : on a fait une belle face raide (5.3 dans le Toponeige Belledonne cette affaire quand même) en bonnes conditions, on assuré les passages délicats et le retour en mauvaise neige et c'est là l'essentiel. Mais quand même, avec des sacs de 15-20 litres prévus pour un petit tour en peaux de 1200 m, en partant en fin d'aprem, sans casque ça fait un peu les guignols de service dans cette entreprise sérieuse.