Souvenirs : pilier central du Frêney
Publié le 29 Juillet 2014
Encore deux jours consécutifs avec un sale temps et on s'occupe comme on peut. Par curiosité, j'ai essayé de photographier des diapos rétro éclairées avec le 60 macro en fermant un peu le diaph. Le résultat n'est pas bon. Il faudrait d'abord fermer le diaph au max (mais avec une perte de qualité d'image) pour avoir davantage de netteté sur les bords mais même avec ça je pense qu'on est très loin d'un bon scan à diapos. Faudrait que je passe par là car c'est dommage que ma collection d'images argentiques se perde. Des conseils ?
En attendant, retour sur ma plus belle course de haute montagne réalisée avec François Thirion en août 2001. "Tu fais de la montagne ?" "Oui, pourquoi ?" C'est ainsi que j'ai rencontré François en juin 1998 à l'oral du concours de professeur des écoles en voyant sa montre altimètre Avocet (une autre époque !!!).
On est vite tombé d'accord sur des projets de montagne et il me parlait du pilier du Frêney. Je me sentais un peu juste techniquement pour aborder cette course (petit 6b à vue à l'époque) et pas suffisamment expérimenté. Mais rapidelment j'ai accumulé les sorties. Au printemps 2001, je mute en ski de pente raide mais surtout je réalise régulièrement des courses d'altitude (quasiment toutes à skis) entre le mois de mai et la mi-août que je retrouve en parcourant mes notes perso : col Claire, sud des Aupillous, col du glacier Noir couloir nord, pic Coolidge, Ailefroide orientale, Boeufs Rouges, roche paillon, italiens à la Grande Casse, roche Faurio, dôme des Ecrins deux fois dont une fois par la directe nord, mont Blanc, mont Maudit face nord, traversée Midi-Plan, Pelvoux, Rouies, Gioberney... près d'une vingtaine de courses entre 3300 et 4800 m, de quoi non seulement être en forme mais en plus avec le quota de globule. Mon niveau d'escalade s'est réduit mais finalement, pour une course comme le Frêney, la condition et l'expérience acquise sont plus importantes.
"Il y a un créneau de beau temps, on va au Frêney ?" François écoute mon coup de fil un peu imprévu et saute sur l'occasion. Il monte dormir à l'aiguille du Midi en guise d'acclimatation. Premier jour : montée au bivouac Eccles avec un détour de 40 minutes sur les moraines de Miage pour contourner une passerelle absente sur le torrent. 2500 m de dénivelé plus haut, on arrive avec les gros sacs après un bel effort, un peu de technique (via ferrata sous Monzino, glacier, pente de glace sous le bivouac...). Ca va être sport le lendemain. Les deux tonneaux sont déjà pleins. Trois cordées pour l'Innominata, cinq pour le Frêney. On trouvera un peu de place pour se reposer mais on dormira très peu (ou pas en ce qui me concerne).
Départ vers 3h30.
Une cordée d'allemands peu fair-play tente de nous devancer en avançant l'heure de réveil officiel mais ils se trompent d'attaque et doivent traverser des pentes de neige exposées. Ils seront finalement derrière. L'approche n'est pas anodine : on monte, puis on redescend au col Eccles et de nuit, on ne trouve pas les rappels d'où du 50° en neige dure. Ici, on n'est pas à Presles : piolets, crampons, un minimum de vêtrements, réchaud... et le sac ne peut pas être léger.
Petit embouteillage à l'attaque. On laisse filer devant les trois cordées de guides avec leurs clients et on attaque seulement à 7h après une pause gourmande. Deux autres cordées sont derrière nous.
Quasiment pas d'équipement dans la quinzaine de longueurs du socle en 5c/6a max mais tout se protège très bien. A cette altitude avec les sacs, il faut cependant rajouter un bon point à la cotation théorique.
Quinze longueurs, même centrées sur le 5, eh bien on ne peut pas non plus courir ici et on arrive au pied de la chandelle à la mi-journée. On y fait une grosse pause car la fatigue de la montée de la veille et de la non-nuit se fait sentir. Eh puis, devant ça bouchonne dans les longueurs dures. Les clients couinent... Ils couraient dans les longueurs faciles derrière les guides efficaces mais ici, ça piétine davantage.
On attaque la chandelle à 14h. Le versant orienté à l'est repasse vite à l'ombre et François sort la doudoune de clochard. Et ça commence à tirer au clou. Je ne me souviens plus des cotations annoncées en libre pour les six longuers de la chandelle. Il me semble qu'après une jolie longueur en Vsup, on attaque une fissure bardée de clou qui doit taper dans le 6c/7a. Puis une traversée à droite dont je n'ai aucune idée de la cotation mais loin d'être facile (heureusement sur-équipée).
Vient ensuite la longueur clef en 7a+ (A1 pour nous) dans laquelle le second de la cordée précédente a dû passer pas loin d'une heure. J'avais noté qu'on y passera à tous les deux pas loin d'une heure et demie. Encore trois longueurs de libre (du 5 loin d'être évident... et peu équipé) et on sort au sommet du pilier. Eh bien là, on n'est pas rendus. Il faut repasser avec les grosses. Ca prend un temps fou car le sommet est une grande dalle inclinée peu confortable. Il faut prendre soin de ne pas laisser échapper une chaussure ici donc tout bien amarrer. La fatigue aidant, on ne se précipite pas pour rester lucide. Ensuite, il faut descendre en rappel dans une brèche profonde, traverser des couloirs puis remonter sur l'arête menant au mont Blanc. Du sommet de la Chandelle, tout cela paraît proche mais entre les manips, les montées et les descentes, il faut une bonne heure. Il est 20h lorsque nous attaquons la remontée au mont Blanc. Les topos donnent 3h... On a du mal à y croire ; on est à plus de 4500 m... Et pourtant... La nuit tombe
La forme est revenue. C'est assez incroyable et on avance bien sur l'arête. Mais une erreur de vouloir couper sous le mont blanc de Courmayeur nous met à l'épreuve. On finit bien secs au sommet à 22h30 !
Thé et sieste au sommet s'imposent. Le ciel est plein d'étoiles. Seuls au monde. Il faut ensuite se résoudre à descendre. Dans ce sens, ce n'est plus qu'une formalité mais la simple petite remontée au dôme du Goûter fait remonter le coeur. On poursuit jusqu'au refuge. Changement d'ambiance ; il faut enjamber les nombreux alpinistes étendus au sol pour le court repos de la nuit. Heureusement, il est rapidement 1h et les montres sonnent. Les dortoirs se vident. De quoi avoir toute la place pour nous pour récupérer. Une récupération courte mais qui confortera la forme actuelle puisque le lendemain, le descente sur Chamonix se fera presque toute en courant (faut pas se plaindre aujourd'hui de commencer à sentir des maux dans les rotules...). Merci François si tu lis ces pages pour ce beau partage. Au plaisir de se recroiser, ça commence à faire un bon moment.