Au mois de mars, j'observe chaque année une petit baisse de motivation concernant le ski : les jours grandissants, les premiers signes du printemps et la possibilité de revenir à d'autres activités... poussent à poser les skis un peu plus souvent. Avant que de nouvelles périodes froides printanières viennent rappeler que le ski n'est pas fini. Cette année, cette petite baisse arrive plus tôt. La faute bien sûr à cette absence d'hiver déjà maintes fois évoquée sur ces pages, associée à un début de saison continue très précoce. Et du coup, pas de sortie cette semaine.
Ce dernier week-end avant les vacances était toutefois une invitation à sortir les planches. Mais où ? Sans faire trop de kilomètres, le meilleur ski actuel se situe dans Belledonne mais plutôt en partie nord (Chamrousse c'est beaucoup de carrelage) et au-dessus de 2000-2200m. Il faut donc se farcir toute une partie basse mauvaise (portage, neige glacée, cailloux...) pour profiter d'un peu de bonne neige et encore : les conditions demeurent hétérogènes et au final, le pourcentage de bon ski reste limité. C'est dans ces conditions que je cherche à choisir un itinéraire esthétique. Au moins, à défaut de faire du grand ski, on fait de la belle montagne. A chacun sa définition de l'esthétisme : pour moi, c'est belles montagnes, beau tracé en boucle ou en traversée, un peu de longueur, peu ou pas de traces... On a dit sans trop rouler (en plus, c'est un jour de chassé-croisé sur les routes)... Ce sera la Chartreuse.
Massif atypique, la Chartreuse est très boisée et ne dépasse jamais les 2000 mètres d'altitude ou de si peu. J'ai déjà fait plusieurs itinéraires longs et esthétiques sur ce massif : les 2000 (boucle Grand Som, lances de Malissard, dent de Crolles, Chamechaude), la traversée occidentale (Mont-Saint-Martin -> Saint-Laurent-du-Pont par Chalves, Lorzier et Sure), la traversée orientale (col du Coq -> col du Granier par les sommets dent de Crolles, rochers du Midi, lances de Malissard, Grand Manti, croix de l'Alpe, Granier) ainsi que la traversée complète à skis (avec un morceau en baskets au début et à la fin) de Grenoble à Chambéry. A chaque fois de belles journées. Cette fois-ci, ce sera une demi-journée "seulement". Départ de Saint-Pancrasse où je laisse la voiture. Le car me récupère à 11h39. Il n'y a pas foule. Je discute avec le chauffeur fort sympathique jusqu'au col de Marcieu.
Départ en baskets : pas un pet de neige à 1050 m au départ sauf sur la piste de luge. Finalement, je les garderai pratiquement jusqu'en haut, à 1850 m à La Croix de l'Aup du Seuil, bien fréquentée par les piétons profitant du manque de neige. Je discute vingt minutes avec un randonneur juste avant d'arriver à La Croix, au moment de la transition pieds/skis. Il m'explique avoir été incendié par deux chasseurs parce qu'il était en train de se promener. Eh oui, nous sommes à la mi-février, au coeur de l'hiver (même si ce n'est pas un vrai hiver...) et ça chasse encore mais surtout, les chasseurs ont du mal à tolérer la présence d'autres personnes sur cette propriété privée qu'ils louent pour la chasse. On leu rappellera à l'occasion que la neige au sol annule cette histoire de propriété. Si la propriété reste bien privée, la présence de la neige efface les limites et ne permet plus d'interdire à quelqu'un de les franchir. Et puis, tout cela est vraiment absurde. Il n'y a qu'un seul sentier fréquenté à cette période sur tout un pan de montagne...
Je n'aurais utilisé les peaux que cinq minutes. Arrivé à La Croix, j'observe au loin deux skieurs qui en terminent avec les lances de Malissard. J'emboîte leurs traces et rejoins le sommet du troisième plus haut pic de Chartreuse. Montée nord-est, descente sud-est : ça transforme bien qu'un peu mou. Il faut dire qu'il est 14h et que ça chauffe malgré un vent de sud gênant sur les crêtes. Du vent, toujours du vent cette année... Retour donc dans le vallon de Marcieu où je profite d'une trace de piéton pour rejoindre le col de Bellefont. J'aperçois alors les deux skieurs en direction du pas de Montbrun. On est donc trois à avoir eu la même idée. Sûrement un "local". Peut-être Olivier ?
Nouvelle descente en sud-ouest et là, plutôt que d'optimiser la traversée comme mes deux prédécesseurs, je me laisse descendre le plus bas possible, jusqu'à l'entrée de la forêt sous la cabane de Bellefont. Bonne neige de printemps et groupe de chamois. Solitude totale en grande Chartreuse : classe ! Je remets les peaux et emprunte le GR d'été, pas trop difficile à trouver. Pas une trace si ce n'est celle d'un renard qui connaît le GR par coeur. Sous le pas de Rocheplane, j'hésite entre la traversée basse et celle passant par le sommet de Rocheplane pour finalement opter pour cette seconde solution. Je retrouve alors les traces de skis des deux skieurs puis gagne le dôme de Rocheplane. On poursuit peu ou prou par les crêtes jusqu'à trouver la cheminée de Paradis. Celui qui ne la connait pas serait bien en galère. Pas de souci pour ma part. Mais là, je n'ai même pas à me remémorer les lieux. Je suis la trace. Tout passe bien finalement. Y compris la cheminée assez remplie. Au bas de celle-ci, c'est bien Olivier (et Lucile) qui étaient partis pour cette traversée. "C'est top, y'a personne" me dit Olivier. "Finalement y'a que quelqu'un comme toi pour venir nous emmerder !". Rires... On termine ensemble : rochers du Midi, dent de Crolles. Avec un vent de plus en plus présent.
La Dent. Quel sommet ! Souvent but de course en soi pour le piéton, le grimpeur, le parapentiste, le base-jumper, le skieur. Parfois point de passage, d'entrée ou d'orgue d'un beau circuit comme aujourd'hui. Parfois faite d'une aventure spéléo, souvent toile de fond d'un décor... Toujours un plaisir d'y revenir. Le vent forcit. Je ne traîne pas et quitte mes amis un peu retardés par un gant récalcitrant qui voulait rester sur le plateau. Le pas de l'Oeille passe crème : neige transformée (un poil molle). Pour la prairie, il faut ruser mais à ma grande surprise, moyennant quelques touchettes superficielles, ça passe et c'est plutôt du bon ski. Rien à voir avec mon passage de samedi dernier. La route ne skie plus au parking. On déchausse une première fois puis définitivement au milieu de la dernière ligne droite. Très vite, il faudra quitter les skis à mi-chemin entre la seconde et troisième épingle. Du jamais vu à cette date depuis que j'habite Bernin et viens régulièrement dans le coin (sur 9 ans).
Je repasse en mode baskets et termine tranquillement sur Saint-Pancrasse où m'attend la voiture posée un peu avant midi. Le soleil n'est pas encore couché sur Belledonne. Magnifique balade en Chartreuse sauvage.