Première sortie de ski en Autriche. L'idée était de n'absolument rien organiser et d'apprendre par soi-même en une semaine. Parmi les quelques recherches (quand même) que j'avais faite, j'étais tombé sur des webcams de stations de ski toutes proches (Axamer Lizum et Fulpmes) qui montraient des sommets dolomitiques an arrière plan. Il était certain que nous irions y faire un tour.
En arrivant un dimanche, il n'était pas possible de trouver une boutique pour acheter un topo. Aussi, pour le lendemain, nous partons pour une face observée en arrivant depuis l'autoroute...
Le sommet du Hochplattig présente un grand rideau strié de couloirs, donnant sur un plan incliné à trente-cinq degrés qui se déverse sur un immense ravin vertical. Autant dire qu'une fois là-haut, ce sera du "E4". Dans le jargon, du ski d'exposition maximale. Chute et avalanche même petite interdits...
Côté nivo-météo, l'anticyclone sévit depuis un moment donc comme nous sommes plein sud, on peut espérer de la neige transformée jusqu'au sommet à plus de 2700 m. Sauf que le vendredi, une petite chute de neige est retombée. Entre dix et vingt centimètres. Après deux jours de beau, nous n'y prêtons pas attention, pensant que ça a dû transformer.
En arrivant au parking, je trouve quand même que cette grande face est bien blanche. Comme s'il y avait encore de la neige fraîche... L'approche est longue en partant à 900 m d'altitude. On a le temps de discuter et de tirer des plans sur la comète.
2200 m. Le constat est sans appel. Il y a une vingtaine de centimètres de neige datant de vendredi, à peine humidifiée, posée sur un fond transformé dur. Le genre de conditions que je déteste dans les pentes sud pour deux raisons : quand ça chauffe, ça peut descendre. Souvent en petites coulées lentes mais bien denses, suffisantes pour embarquer quelqu'un et ici, le projeter sur le tremplin. Mais aussi par l'insécurité procurée en descente dans le raide. Le ski n'accroche pas et glisse avec la neige. L'heure est à la concertation...
Il est décidé que nous n'irons pas vers le couloir. De mon côté, je ne le sens pas du tout et si désaccord il devait y avoir dans le groupe, je choisirais de descendre. Mais là, point de désaccord. Nous avons tous trois conscience des conditions. Cependant, étant sur un petit éperon où le vent a dû balayer la neige lors de la dernière chute, nous sommes sur de la vraie transformée et remontons le plus haut possible tant que les conditions restent ainsi. A presque 2400 m, la neige fraîche devient omniprésente. Il est midi. On chausse et on se casse. La petite déception qui point ne durera pas et cédera la place à la satisfaction d'avoir identifié le problème. Juste avant de faire le premier virage, le couloir convoité est parcouru par une coulée silencieuse venue du haut. Bien protégés sur notre petit éperon, nous observons..
J'en discutais avec Sébastien (Escande) l'hiver dernier lors de l'écriture du Montagnes Magazine spécial ski de randonnée, à propos de la nivologie. Au-delà du bulletin, de l'observation du terrain, il y a aussi ce que l'on appelle l'intuition. Cela peut faire sourire quand on parle d'intuition nivologique alors que déjà, avec des observations rationnelles, on n'est pas souvent capable de tirer des conclusions sans équivoque. Et pourtant, cette intuition me paraît indispensable. Elle conditionne beaucoup mes choix. L'accumulation d'années de pratique et la reconnaissance de situations similaires. "Ca, ça ne bouge pas. Ca, ça craint".
Aujourd'hui, l'intuition était la bonne. La petite équipe fera 1500 mètres de très bon ski en grandes courbes, sans sommet, mais sans regret. Elle en sort même enrichie. Une très belle entrée en matière.