Aimant alterner sorties bien accompagné et sorties seul, je ne voulais pas de contrainte pour ce lendemain de grosse bambée. Pas de réveil, pas de programme ; je sais juste que je partirai à nouveau de Pipay pour une balade de récup', tout en profitant des excellentes conditions. Finalement dans le même timing que François et Cyril, c'est avec plaisir que nous attaquons ensemble. Connaissant les capacités motrices de ces deux "animaux", qui plus est équipés d'allumettes, je sens que je vais devoir m'accrocher avec mes lattes de 98 au patin... Heureusement, il faudra tracer une partie et seule la montée à la Jasse les verra m'attendre quelques instants, sous l'élan impulsé par Ronan rencontré en chemin. Au chalet du Pra, les deux compères vont profiter de mon plan de la veille aux Cabottes. De mon côté, je remonte aux Oudis avec Hélène et Marco et je viens de rencontrer. Impossible de finir cool avec une Hélène qui, comme d'hab, fait la modeste mais enquille à 800-900 m/h tranquillement. Rejoins par Guillaume à mi-montée, je laisserai mes deux amis descendre sur Prapoutel et finir par la face ouest de Roche Noire avec Guigui. Une top matinée encore !
Mais fi de ce récit sans vraiment d'intérêt. Ce qui peut poser question au lecteur, c'est le niveau de risque accepté lors d'une telle sortie. Je suis le premier à ne pas comprendre les nombreux skieurs qui remontent les Combeynot, la Belle Etoile, la dent du Pra et autres pentes nord assez raides au coeur de l'hiver. Alors pourquoi le faire ces jours dans des conditions hivernales ? C'est là qu'il y a des choix personnels, dictés par l'intuition (et donc l'expérience des années passées) et aussi une certaine logique de circuit. Tentative d'explications.
- Le confort. Ce point demeure mineur mais quand même. En plein hiver, les faces exposées au soleil restent souvent poudreuses pour peu qu'on sache choisir les micro-orientations favorables. Je ne vois pas l'intérêt de passer deux heures (ou plus) dans un frigo alors qu'il fait grand beau. En mars, le soleil "monte" beaucoup plus haut et apparaît dans les faces nord. Les passages totalement ombragés sont beaucoup plus courts et peuvent même faire du bien s'il fait doux.
- La sécurité. C'est là le critère principal. Il est clair qu'en hiver, les faces nord ne bougent normalement pas. Les couches fragiles demeurent. Cette année, les chutes de neige ont été nombreuses mais pas très épaisses. On a eu donc droit à un manteau de type "mille-feuille", favorable aux plaques comme en témoignent les accidents d'avalanche en hausse par rapport aux années précédentes. Voici l'analyse que je fais des conditions actuelles :
- Y compris en faces nord, l'anticyclone de fin février - début mars avait détruit les couches fragiles.
- Je suis moins inquiet après une chute de 80 cm que trois chutes de 15 cm
- Le vent a plutôt soufflé du nord sans s'engouffrer dans ces vallons ; c'est plutôt rassurant pour les faces nord qui sont restées poudreuses et homogènes sauf à proximité immédiate des crêtes où la neige était plutôt dure, parfois avec 10 cm de neige rapportée.
- Le test du bâton était favorable. Ce test tout bête qui consiste à "sentir" le manteau à chaque planté de bâton (tout en montant) n'est en rien une garantie mais par habitude, je sais qu'il correspond souvent à des situations de relative stabilité. En résumé, la neige était de plus en plus dense au fur et à mesure que le bâton s'enfonçait. On ne sentait pas de couche fragile. Attention, elles peuvent tout à fait passer inaperçues toutefois.
- La conversion ne montrait pas de signe de faiblesse. En appuyant au-dessus de la trace, la neige ne se découpait pas. Là encore, c'est insuffisant comme critère mais nécessaire.
- L'observation visuelle joue également un rôle important. Aucun départ de plaque n'était visible, juste quelques coulées mineures de surcharge, sans doute partie pendant ou juste après les chutes. En plus, de nombreuses traces dans le coin, y compris sur des talus raides, n'ont rien montré d'inquiétant.
Alors voilà, ce n'est pas véritablement de la science de haut niveau. La neige n'a pas fini de nous surprendre mais pour toutes ces raisons, j'ai dérogé aujourd'hui à la règle que je me fixe en hiver en parcourant ces faces nord aussi bien en descente qu'en montée. Le seul point qui m'a fait réfléchir fut la dernière pente nord de la dent du Pra sous les assauts d'un vent tourbillonnant créant quelques accumulations de surface. Ces zones n'étaient pas très vastes et il m'a semblé qu'en les évitant, le risque demeurait limité.
Je ne puis toutefois encourager les skieurs à foncer sur ces mêmes pentes dès aujourd'hui. D'abord parce qu'avec de telles quantités de neige fraîche en place, on ne peut rien garantir du tout ; et ensuite, parce que le vent qui continue de souffler du nord a pu redistribuer les choses depuis hier.
Pipay => Gypaète => vallons du Pra => dent du Pra (par le nord) => descente ouest (Vénétier) => cime de la Jasse => couloir nord-est jusqu'au chalet du Pra => Oudis => Roche Noire => face ouest sur Pipay (seulement deux traces à 13h, sur-bon...). D+/D- : 2300
L'anecdote du jour :
Au sommet des Oudis, on s'apprête à faire la dernière descente en face ouest mais Hélène et Marco, partis de Prapoutel, préfèrent profiter de la combe menant au bas du Gypaète pour ne pas saboter la fin par une piste plate. Du coup, je propose à Guillaume (parti lui-aussi de Pipay), de descendre 100 m et remonter à la Roche Noire où deux skieurs semblent en train de se régaler dans le couloir ouest (et où il n'y a pas d'autre trace). On enlève les peaux et on rejoint le petit col en haut de Mataru. Je pars droit et amorce le virage pleine vitesse. Et là, je me retrouve sur ce passage assez étroit, face à deux groupes qui montent les uns à côté des autres. Pour éviter de les empaler, je dois placer un gros dérapage brutal. C'est là qu'un ski déchausse. Et bim au tapis. Ca a beau être presque plat, avec la vitesse j'ai du mal à m'arrêter et doit appuyer avec le pied déchaussé pour éviter de m'encastrer dans le premier groupe qui ne parvient pas à récupérer le ski. Heureusement, le second s'en charge. J'aurais été mal si j'avais dû annoncer à Ronin Skis, la perte d'une planche à 1200€ lors de cette journée test. La honte devant ces deux groupes apparemment débutants. "Mais Monsieur, il faut mettre des lanières.". Ils étaient très sympa et m'ont pris pour un bleu. Pas possible de m'embarquer dans une discussion pour expliquer le choix de ne pas mettre de leaches. De toutes façons, sur les Plum Race... Et c'est bien là le problème : sur ces fixations, l'espace entre les ressorts de la mâchoire et le ski est supérieur à celui des Dynafit et la glace s'y met régulièrement. S'il en reste trop, on le voit immédiatement au chaussage avec le jeu dans la butée. Par contre, ça peut être limite et on peut ne pas s'en rendre bien compte. C'est ce qui a dû se passer. Ca n'aurait sûrement pas déchaussé avec le type de ski pratiqué tout le long du week-end mais ce braquage brutal en neige damée était sans doute trop violent. Cela conforte aussi mon choix d'avoir des peaux avec tendeur à l'avant (et donc une spatule fendue, d'origine ou maison avec une scie à métaux) ce qui permet, outre de gagner du tempos dans la manip', d'éviter de déchausser avant de descendre. Double avantage supplémentaire : on ne perd pas de ski au sommet et on est certain que la mâchoire est bien fermée puisqu'elle a tenu toute la montée. Bon, je ne sais pas si Ronin aurait apprécié le coup de la scie à métaux...