Fallait-il aller à la Belle Etoile ce week-end ?
Publié le 8 Avril 2019
Loin de moi l'habitude de donner des leçons. Et quand bien même j'esquisserais une réponse, on aura vite fait de me faire rappeler l'adage "n'impose pas aux autres ce que tu ne t'imposes pas à toi-même". Cette seule sortie, qui m'avait d'ailleurs valu quelques remarques il n'y a pas si longtemps, paraîtra probablement à tous les répétiteurs de la Belle Etoile du week-end dernier bien plus engagée et dangereuse. Et pourtant, les divergences commencent ici. Remonter un couloir encaissé dans cinquante centimètres de neige froide homogène sans aucune cohésion donc a priori stable, avec la confirmation que rien n'a bougé en voyant les montagnes alentour sans la moindre coulée depuis deux ou trois jours me paraît moins hasardeux qu'un troupeau à la Belle Etoile le lendemain d'une chute sans la moindre info sur la stabilité et dans des pentes ultra larges à trente-cinq degrés... Nous allons y revenir.
Les mauvais choix, j'en ai fait sûrement plusieurs. Ce n'est pas le sujet mais il est bien de se replacer dans le contexte afin de ne pas se considérer comme meilleur que les autres. Personne n'y échappe mais la critique peut aider à ne pas les reproduire.
Au début des années 2000, la critique constructive restait rare. Il était donc difficile de se remettre en question. Pendant huit années, il n'y en avait que pour les couloirs et quelles qu'étaient les conditions, on trouvait toujours une excuse ou un repli pour faire une pente. Si j'en parle, c'est parce que tout s'est bien passé. Et tant que ça se passe bien, on continue. Pratiquer le ski de montagne est infiniment plus dangereux que faire des mots croisés. Un jour ou l'autre, on a un rappel. Parfois, malheureusement, une sentence. Mais la plus grosse erreur n'est-elle pas finalement, même si rien n'arrive au final, de partir pour un itinéraire au profil déconseillé le jour J ? Alors autant donner mon point de vue et si possible aider à des décisions futures car la différence entre mes sorties du début des années 2000 et celles de 2019, c'est la quantité d'informations dans laquelle nous baignons.
J'ai aussi sûrement vieilli ; enfin, je veux dire... Bref, vous aurez compris, mais pour en venir au sujet du jour, je ne serais pas allé à la Belle Etoile le week-end dernier. Une petite coulée le vendredi puis une plus grosse le samedi me donnent raison même si tout s'est bien passé pour tout le monde. Il n'empêche que je jeudi soir, au téléphone avec mon ami Zavidd, nous réfléchissions à la course envisagée par cette belle journée de vendredi. Enfin, pour lui car pour moi, ce serait boulot. Et nous avions évoqué cette Belle Etoile sur laquelle nous n'aurions mis les pieds ni l'un ni l'autre (pour la petite histoire, Zavidd ira au rocher Blanc par la combe Madame, course au demeurant assez plate). Pourquoi ? Par superposition de plusieurs facteurs qui, pris indépendamment, n'étant pas forcément inquiétants.
- La sous-couche n'est absolument pas transformée en profondeur dans les pentes nord
- Soixante centimètres au moins viennent de s'ajouter le jeudi jusqu'au soir, créant une surcharge.
- On ne dispose pas de retour de terrain pour le vendredi (aucune observation visuelle possible) et pour le samedi, certes on a bénéficié de deux nuits claires mais du vent est venu s'intercaler.
- La Belle Etoile est une pente froide avec des pentes soutenues entre 1800 et 2700 m. Juste la bonne inclinaison pour que ça ne se purge pas naturellement rapidement comme un couloir raide et en même temps, suffisamment pour que ça parte et sur long.
- Les pentes sont larges sans possibilité de mise à l'abri, sans rochers, ni arbres, hormis le petit replat sous le sommet.
Au-delà de ces considérations du moment, il y a les critères liés à cette course
- La Belle Etoile nord-ouest est un très bel itinéraire classique mais n'a rien de majeur au point de ne pouvoir résister d'y aller ce jour-là (le rocher Blanc, dans un autre registre, est tout aussi beau). Des dizaines d'alternatives existent.
- Elle est connue de tous, praticables dès les premières neiges jusqu'en juin, souvent avec un danger très limité.
- Elle était probablement pratiquée ce jour là par 100% de locaux (ce n'est pas comme si c'étaient des gens en vacances, venus de loin, ayant dépensé du temps et de l'argent, voyant peut-être un grand projet échouer en cas d'abandon) qui y sont probablement déjà venus et qui auront l'occasion d'y revenir souvent.
- La neige ne s'annonçait pas exceptionnelle du fait de l'isothermie et de la date (le moindre rayon de soleil du soir et hop). Même si beaucoup confondent plaisir de la sortie effectuée et qualité objective de la neige, les retours qui m'ont été faits par des amis fiables me confirment des conditions assez bonnes le vendredi mais sans plus. Bref, pas la "pétée" de poudre hivernale comme cela arrive parfois même au printemps.
En résumé, rien ne nécessitait d'aller à Belle Etoile (ou à la face nord du Grand Colon) vendredi ou samedi dernier. En tous cas, rien de plus qu'aller au rocher Blanc et tant d'autres itinéraires. Et pourtant, j'aurais pu m'y trouver dans une situation similaire il y a quinze ans quand je pensais différemment, peut-être comme les dizaines de randonneurs y sont allés ces deux jours-là.
Il est intéressant de réfléchir aux raisons qui ont poussé tous ces randonneurs à se risquer sur un itinéraire non majeur à côté de la maison alors qu'il y avait aussi beau et moins risqué dans les mêmes conditions. On peut aussi se demander combien auraient atteint le sommet s'il n'y avait pas eu une trace devant eux. Probablement très peu. Parce que sans trace, dans soixante de fraîche sur plus de mille mètres de dénivelé, ça calme la majorité de la communauté, pour des raisons de crainte et des raisons physiques. Mais quand on voit la grosse coulée du samedi, on comprend aisément que les dizaines de traces des passages antérieurs n'étaient finalement d'aucune garantie. Alors pourquoi ?
A chacun de méditer et d'y réfléchir. Encore une fois, sur ce blog, on ne jette pas la pierre. Il n'est, en revanche, pas interdit d'essayer de comprendre. Quelques pistes sociales, au-delà des critères objectifs déjà énoncés plus haut :
- Quand on suit une trace de montée, on ne se rend compte de pas grand chose au niveau de la cohésion de la neige si on ne fait pas l'effort de regarder en-dehors de la trace. On se sent plutôt en sécurité.
- Quand on suit un itinéraire tracé, on a tendance à penser que la sollicitation du manteau par les prédécesseurs est un gage de sécurité. Elle l'est mais seulement en partie. La complexité de la neige fait que si souvent, ça part au passage du premier ou du deuxième, parfois, c'est au trentième, ou bien plus !
- Beaucoup de gens (pour parler des "Grenoblois", à transférer sur les autres massifs), résument leur saison, pourtant bien remplie, à des Pravouta, des Vans, des cime de la Jasse et des Belle Etoile ! Avant le raid de Pâques en Tyrol puis le week-end de l'Ascension au refuge des Ecrins. Faire preuve d'imagination demande de l'investissement mais c'est aussi le gage d'être en éveil. Et si on sortait un peu la tête du guidon ?
Bon, en attendant, la montagne reste gentille et cette saison s'annonce déjà comme un des plus clémentes en terme d'avalanches en France. En attendant, moi, j'ai fait la dent en neige "à genoux" et dans le brouillard le dimanche. Des jours meilleurs viendront.
Avalanche Belledonne, secteur Belle Etoile, Pic Belle Etoile face N - 07/04/2019
Une grosse cassure ( une petite à côté) a été déclenchée semble-t-il par un/des skieur(s) au-dessus de la trace de montée pour la Belle Etoile
L'avalanche de la Belle Etoile