Saint-Robert et Saint-Bernard

Publié le 24 Août 2018

Pour changer, une journée de type montagne comme je les affectionne. Je serais presque tenté d'y aller en solo mais sans connaître... Et comme nous sommes deux et que l'approche n'est pas non plus abominable, on ne va pas se priver d'un petit brin de corde, de cinq dégaines légères, de trois sangles Dyneema et d'un petit jeu de Camalot Ultralight.

Après un départ facile où nous ne sortons pas le matériel, nous nous encordons assez vite au premier ressaut de 3 de l'arête ouest de la cime du Saint-Robert. Cette arête est assez longue et il nous faudra 1h40 pour atteindre le sommet, tout à corde tendue, en nous passant seulement trois fois le matériel. Mentions particulières à une longueur verticale, je dirais à mi-chemin (un piton), en gneiss magnifiquement sculpté puis au passage de 4c juste avant le sommet (un piton et un golot en place - donc trois points en tout sur la ligne). Mais c'est beau tout le long. Je rêve d'avoir un tel gneiss dans Belledonne !

Au sommet, on plie et on descend en solo en quinze minutes sur le point bas avant le Gélas (globalement du 2, un pas de 3 quand même, chute interdite tout le long de la descente) puis c'est parti pour 370 m de dénivelé pour monter au Gélas, culmen du zéro six. Les topos (Cent Plus Belles, c2c, etc) parlent d'abord d'un éboulis. C'est quand même incompréhensible, compte tenu de ce que l'on vient de réaliser, de ne pas indiquer de remonter l'évidente échine rocheuse facile (ensemble PD en I/II, peut-être un court pas de 3) au lieu de cette sente randonnesque ! Pour nous, ce sera donc intégralement sur le fil, en une grosse demie-heure, derrière un Italien monté par la "vn" italienne et un Français que je rattrape dans les dalles finales (du 1a+) sommitales. Sans doute non habitué de ce genre de face tout de même impressionnante bien "qu'à vaches", le jeune homme est complètement terrorisé.
- Ca va ?
- Non j'ai, peur !
- Tu descends ou tu montes là ?
- Je descends mais j'ai peur !
- Ah t'as déjà fait le sommet ?
- Non je n'y vais pas !
- Pourquoi ?
- J'ai trop peur, faut que je redescende mais je ne vais pas y arriver. Putain je vais mourir !
- Pourquoi tu es venu là ?
- Je sais pas, je croyais que c'était la voie normale.
- Non elle est sur l'autre versant. Bon, calme-toi, ça va le faire. Ecoute, il faut que ailles au sommet, de l'autre côté, c'est plus facile. Traverse la dalle à gauche
- (à quatre pattes), je peux pas, ça glisse, je vais me tuer !!!
- Mais non regarde, ça passe tout seul (je traverse debout en courant :P)
- Je me sens pas.
- Tu y vas tranquille, je me mets en-dessous ; si tu glisses, je je pare...

Et c'est comme ça que notre ami foulera, bien que dans un état de stress maximal, le point culminant des Alpes Maritimes.

La suite de l'histoire ? Nous lui conseillons en lui montrant la voie, de ne pas trop traîner à descendre, compte tenu des cumulus pouvant vite enfler si on se réfère au bel orage du milieu d'après-midi de la veille. Au bout de quelques minutes, je m'approche pour voir s'il est bien engagé dans le couloir... Il n'est pas à la fête. Un trailer jouera au bon samaritain pour l'aider à passer le bousier puis le laissera dans le pierrier au bas de la face où, après la pause au sommet et la descente ultra rapide (et sûre) de l'arête est jusqu'au Balcon, je le retrouve après avoir descendu en courant le pierrier.

- Ca va ? T'es vivant ?
- Oui merci, putain, j'ai eu peur !
- Je pense que tu t'en souviendras. Pour la suite, tu suis les cairns, c'est tout en traversée sur la droite.
- Merci encore...

Après quelques selfies avec les bouquetins, on descend tranquillement en conversant avec François, quand on le rattrape sur la sente, on dirait même qu'il remonte.
- Alors, tu remontes finalement ? (d'un ton un peu moqueur je l'avoue)
- Pfff, je suis nase, je sais pas où ça passe
- Faut suivre les cairns
- J'en ai marre de ces cailloux, je suis mort, j'ai plus de jambes, je vais dormir là
- Tu as du matériel de bivouac ?
- Non !
- Tu sais il fait froid la nuit à cette altitude.
- Je vais finir par tomber dans un ravin !!
- Mais non, allez, suis-nous, on te montre le chemin.

Dans un état de cadavre ambulant, le jeune randonneur inconscient arrivera sans blessure à la Madone de Fenestre. Je pense qu'il s'en souviendra.

- Pose-toi et prends le temps d'analyser l'erreur pour ne pas la reproduire lui dis-je !
- Oui oui, merci...

Après les arêtes du Saint-Robert, nous voilà donc à jouer au Saint-Bernard sur les arêtes du Gélas, me disant que j'ai peut-être raté quelque chose en ne choisissant pas le métier de secouriste en montagne. L'occasion de remercier toutes celles et ceux qui font ce travail et nous permettent, reconnaissons-le, d'engager un peu plus dans nos montagnes qu'au Svalbard pour l'immense majorité d'entre nous (beau sujet de philo je pense).

Et petit rappel pédago à tout le monde. Soyons autonomes ; on s'en cogne de passer du 8b ou de faire le mont Blanc en six heures aller-retour. L'important c'est de se connaître. Savoir si on va passer ici ou là et avec tel matériel par les conditions du moment, tout en estimant a priori avec le plus de justesse possible le temps nécessaire. C'est ainsi que l'on évite de se mettre dans ce genre de situation scabreuse. Sans ça, on risque l'in/ac-cident, technique si on n'a pas le niveau, technologique si on n'a pas le matériel, météorologique et physique si on est en retard (orages, nuit, froid, épuisement...). Une petite question me taraude. Que serait-il advenu de ce randonneur égaré du mauvais côté de la montagne si nous n'avions pas été là ? (pas de réseau mobile ici).

PS : Traversée Saint-Robert - Gélas, AD, 4c - rocher excellent - très belle traversée d'arêtes montagne - 5 dégaines ; Camalot 0,4 -> 2 ; brin simple 20 m ; 4 grandes sangles. Topo simplissime : c'est tout le long sur le fil ou, de manière évidente, à quelques mètres, sauf dans la descente du Saint-Robert où l'on évite le dernier ressaut par le versant nord. Plus qu'à revenir en solo (ça va quand même nettement plus vite), l'intégrer dans une longue traversée d'arêtes transfrontalière !

Premiers ressauts

Premiers ressauts

Différents aperçus de l'arête (photos 1&2 : François Thirion)
Différents aperçus de l'arête (photos 1&2 : François Thirion)
Différents aperçus de l'arête (photos 1&2 : François Thirion)

Différents aperçus de l'arête (photos 1&2 : François Thirion)

Le passage clé. Petit clin d'oeil aux Adidas terrex Solo. Elles n'ont pas la rigidité des Scope mais sont tout à fait indiquées jusqu'à ces difficultés (4c) avec l'avantage de la légèreté et du confort pour la marche. Et toujours la gomme 5.10

Le passage clé. Petit clin d'oeil aux Adidas terrex Solo. Elles n'ont pas la rigidité des Scope mais sont tout à fait indiquées jusqu'à ces difficultés (4c) avec l'avantage de la légèreté et du confort pour la marche. Et toujours la gomme 5.10

Gélas depuis Saint-Robert. Le cercle rouge indique le lieu du "sauvetage" du randonneur égaré !

Gélas depuis Saint-Robert. Le cercle rouge indique le lieu du "sauvetage" du randonneur égaré !

Sur l'arête du Gélas

Sur l'arête du Gélas

Selfies : avec François au sommet puis avec un bouc dans la descente
Selfies : avec François au sommet puis avec un bouc dans la descente

Selfies : avec François au sommet puis avec un bouc dans la descente

Mercantour...

Mercantour...

Danse avec les boucs

Danse avec les boucs

Rédigé par lta38

Publié dans #escalade-alpi

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B
Super photos ! En effet pour la remontée au Gélas c'est carrément mieux de prendre "l'échine rocheuse" plutôt que les éboulis.<br /> Comme tu disais ça passe bien en solo (c'était ma sortie training qd je vivais sur la côte), 1h45 pour arêtes du St Robert + arêtes SW/NE du Gélas. <br /> Vive le Mercantour ! (un petit côté belledonien d'ailleurs..)
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L
Exactement ce que je disais à François : en solo ça passerait nettement sous les 2h l'ensemble. Tu le confirmes. Sans traîner. Mercantour a en effet des ressemblances avec Belledonne. Je l'ai compris dès mon premier passage dans ce merveilleux massif. Sans doute pourquoi j'éprouve toujours un immense plaisir à y retourner. Dommage que la route soit vraiment pénible pour s'y rendre (autoroutes ultra fréquentées et chères d'un côté ou route Napoléon insupportable- sauf de nuit- de l'autre)