Goûter. Et si on démontait ?
Publié le 13 Juillet 2018
L'été dernier, Monsieur Jean-Marc Peillex, maire de Saint-Gervais-les-Bains, pardon, Saint-Gervais-Mont-Blanc, promulguait un arrêté obligeant un équipement minimum pour gravir la voie normale du mont Blanc. Cela partait d'un bon sentiment, en tous cas, aux yeux du grand public, mais la méthode fut très décriée, ici et ailleurs pour d'évidentes raisons de déresponsabilisation, d'apport d'autres dangers, d'entrave à la liberté... en ajoutant que le contenu de cette liste de matériel était fort discutable en lui-même. Au final, personne n'a été verbalisé à ma connaissance et, au regard des centaines d'alpinistes qui ont gravi le sommet par la suite, je serais curieux de savoir combien ont été effectivement refoulés.
Mais on ne pourra pas reprocher à Monsieur Peillex de rester bouché bée devant les problèmes que pose la surfréquentation du mont Blanc par la voie empruntant en grande partie le territoire de sa commune.
Le voici donc de nouveau au créneau avec des menaces de fermeture du refuge du Goûter si "on" (i.e. la préfecture) ne donne pas les moyens de faire respecter les normes de capacité d'accueil. En ce 14 juillet, les autoroutes sont bondées mais on n'interdit pas aux gens de circuler au-delà d'un certain seuil d'embouteillage. De même qu'on ne parle pas beaucoup des 121 morts par noyade le seul mois dernier en France. Le tabac fait des milliers de morts mais l'état a toujours le droit d'en faire du business sous couvert de campagnes de prévention et d'apposition d'un hypocrite "fumer tue" sur le paquet... Une fois de plus donc, la montagne est montrée du doigt, stigmatisée... La montagne fait peur, contrairement à la route, la cartouche gitane ou la piscine. Elle n'en est pas plus meurtrière mais elle fait peur et revient donc sur le devant de la scène une fois de plus.
Mais je m'égare ; après tout, je suis le premier à dire que ce n'est pas parce que des gens ont des cancers qu'il ne faut pas s'occuper de soigner une angine. Monsieur Peillex a raison de soulever ce problème du Goûter mais malheureusement, il écarte la solution évidente. En parallèle, Monsieur Lambert, préfet de Haute Savoie, propose une mesure ridicule : filtrer la montée à l'aiguille du Goûter sans preuve de réservation... Du jamais vu !
Messieurs Lambert et Peillex,
Je suis avec attention le feuilleton du mont Blanc et les nouvelles "couillonades" (ça fait un peu mal aux oreilles mais je trouve ce mot plutôt rigolo et tout sauf impoli - j'espère donc que vous me pardonnerez cette facétie littéraire) autour du refuge du Goûter. Monsieur Peillex, vous avez raison d'alerter les autorités (compétentes ?) concernant les dangers liés à la surfréquentation de ce refuge. Mais comment pourrait-il en être autrement ?
Avec toute la promotion qui est faite sur le toit des Alpes depuis des années, avec la seule aura de ce sommet, avec la météo radieuse de ce début d'été, la capacité d'accueil des vallées qui l'entourent, la facilité d'accès par des sentiers boulevards, un train à crémaillère, un bout de câble à la moindre difficulté, une iconographie débordante et invitante... à quoi vous attendiez-vous d'autre ?
Alors, on ne fait rien ? Non bien sûr. Mais comme l'année dernière à propos de l'arrêté obligeant un équipement minimum, la méthode employée n'est pas la bonne. Elle appelle à beaucoup de questions auxquelles on aura du mal à répondre :
- Comment allez-vous mettre en place l'application de cet arrêté ? Allez-vous tendre une clôture électrique ceinturant toute la montagne du Goûter avec sentinelles munies de fléchettes anesthésiantes initialement destinées aux bouquetins du Bargy en cas de tentative de passage hors "sentier" ?
- Si un prétendant au sommet se tue en sortant du "sentier" pour contourner le dispositif, la famille qui portera plainte sera-t-elle entendue ?
- Quid de celui qui part pour le mont Blanc à la journée (avec le matériel "recommandé" par la haute sphère) ? Ou celui qui se fait "juste" une montée à l'aiguille du Goûter ? Sera-t-il cru sur parole ? Si non, de quel droit lui interdisez-vous l'accès à la montagne ? Si oui, c'est un laisser-passer pour les menteurs et le problème reste entier.
- On fait quoi dans huit jours ? (NDLR : l'arrêté entre en vigueur aujourd'hui pour huit jours seulement).
Afin d'essayer de pallier les problèmes liés à cette voie normale que vous pointez à juste titre, il faut d'abord analyser la situation actuelle, et cela ne va pas aller en s'améliorant :
- Le mont Blanc est un mythe et le restera. Il plait plus que toute autre montagne.
- La pratique des sports outdoor est en explosion. Le mont Blanc n'échappe pas à la règle.
- La capacité d'accueil des vallées alentour ne cesse de croitre.
- Des remontées mécaniques permettent d'approcher les sommets au plus près des premières difficultés, parfois davantage.
- Le taux de réussite au mont Blanc est en augmentation, lié essentiellement à la condition physique des participants.
- Le mont Blanc n'est pas une montagne où le critère accessibilité (au sens où on l'utilise aujourd'hui dans les transports en commun par exemple) prime. On n'est pas obligé d'aller au mont Blanc. Les personnes insuffisamment préparées (physiquement, techniquement, non autonomes...) peuvent se faire plaisir ailleurs. On vit très bien sans aller au mont Blanc.
- Le refuge du Goûter est situé en terrain de haute montagne. C'est un des rares en France où il n'est pas raisonnable de ne pas accueillir un randonneur (alpiniste... bref, un piéton en montagne) le demandant. Au refuge de Tête Rousse, ce serait radicalement différent : mis à part les cas extrêmes de personnes épuisées ou blessées que vous évoquiez (pas Laurent, hein !) avec raison, refouler l'entrée à une personne n'ayant pas réservé (avec panneaux préventifs au Nid-d'Aigle par exemple) ne poserait pas les mêmes problèmes à l'étage inférieur. Il est aisé de redescendre ; au pire, passer une nuit dehors là-haut par une belle journée d'été n'est pas si désagréable.
- Faire le mont Blanc depuis le refuge de Tête Rousse est aujourd'hui tout sauf un exploit. Il n'y a "que" 1700 mètres de dénivelé. Au pire, il n'y a pas beaucoup d'entrainement à fournir pour un débutant disposant d'une santé normale afin d'y arriver.
- Dormir à 3800 m n'est pas sans risque : en prolongeant inutilement le séjour en altitude sans y être préparé, beaucoup souffrent du mal des montagnes avec des conséquences parfois graves, a minima physiques sur la suite de l'ascension malgré un dénivelé limité sur le papier (1000 m).
Monsieur Peillex, vous pointez à juste titre les problèmes de sécurité et de confort du refuge du Goûter. Monsieur Lambert vous êtes, de par votre titre, chargé de prendre les mesures pour protéger les citoyens en cas de danger avéré. De par ces constats, la bonne décision ici ne serait-elle pas la fermeture et le démantèlement définitif du refuge du Goûter, laissant le rôle d'étape au refuge de Tête Rousse, idéalement placé pour une ascension d'une durée encore raisonnable et sans les mauvais effets d'une nuitée en altitude, solution qui préserverait dans un même temps la liberté d'aller et venir ?