Solo à la traversée du Grand Pic de Belledonne
Publié le 8 Août 2019
Eh bien voilà. Je n'en faisais une fixation mais c'était inconsciemment dans les cartons. En 1997, je me hisse pour la première fois sur le point culminant de Belledonne avec mon frère Cédric dans l'idée de faire cette traversée. Nous sommes accompagnés de Pascal et de Nicolas Cardin, alors en train de devenir mon grand partenaire de montagne, jusqu'à son malheureux décès en 2009. On ne t'a pas oublié mon pote ! Nos deux acolytes, insuffisamment expérimentés à cette date, s'en retournent par la voie normale alors qu'avec Ced, nous traversons les arêtes armés de coinceurs et de 90 m de corde.
Depuis, j'ai réalisé de nombreuses choses sur ce sommet en y emmenant des amis, gravissant l'impressionnante muraille nord-ouest par la voie Rébuffat avec l'ami Thibault, l'arête du Doigt avec "petit" Mathieu, lui aussi décédé en 2004, skié le sommet avec "MonLio"...
En 2017, l'idée fait son chemin d'intégrer cette traversée dans un tour complet du lac Blanc. Ces "skylines", j'en ai fait une de mes spécialités en Belledonne. Le principe en est le suivant : gravir un sommet par une longue arête ou traverser plusieurs sommets en restant sur les arêtes, mêlant cheminement esthétique, panoramique, logique et rapide. Pour cela, je pars en mode minimaliste après avoir étudié le terrain en fonction de mes connaissances du massif : un mini baudrier et une cordelette de secours (plus ou moins longue selon la hauteur de rappels envisagés), un casque pour les chutes de pierres dans les couloirs, à boire, à manger et une petite laine.
Avant ce tour du lac Blanc, j'avais déjà réalisé le terrible tour du Doménon. Je connais donc bien le parcours jusqu'à la croix de Belledonne depuis la Petite Lance de Domène. Il passe tout en solo pour moi. Mais quid de la traversée des trois pics ? La connaissant bien dans le sens habituel (l'autre sens), je sais que les difficultés seront à la descente et pourront donc être rappelées. Je m'octroie donc une reco en ce mois de juin 2017 : montée à la Croix, traversée jusqu'au Grand Pic, descente. Et au final, ça passe bien comme prévu, avec trois petits rappels pour les longueurs en 4. Ayant un peu de temps, je m'essaie même à réaliser les pas en désescalade avec la corde en place. Je me dis que ça devrait le faire en solo dans l'autre sens. Un mois plus tard, je reviens avec François réaliser ce grand tour du lac Blanc : une véritable aventure à côté de la maison.
Depuis ce jour, j'ai dans la tête de faire cette traversée dans le bon sens en solo. Je connais toutes les prises des passages clés. Il n'y a aucune surprise. Je ne vois pas comment cela pourrait être dangereux. Cela va sûrement en faire sourire certains mais le danger n'est pas objectif dans ce cas. Il dépend avant de tout de la personne qui "l'affronte", de son état de condition physique le jour J, de sa connaissance des lieux, de l'état de la montagne, des conditions météo. Aujourd'hui, tout est réuni pour ce projet. Et c'est ainsi que cela va se passer.
- 9h. Départ du Chenevray, 900 m. Montée au lac Blanc, au glacier puis au col de Freydane puis au Grand Pic par la voie normale.
- 12h. Sommet. Je n'ai absolument rien fait de véritablement sportif en terme de dénivelé depuis plus de trois mois alors, ce temps de 3h pour 2100 m de dénivelé était difficilement améliorable ce jour-là (ce qui n'est toutefois pas si mal en tenant compte du replat du lac Blanc, de la pénible montée au col de Freydane et de l'ascension du Grand Pic), à partir du moment où on souhaite en garder pour la suite ce qui est impératif.
- 12h15. Attaque de la traversée. Finalement, le couloir de désescalade qui passe presque en courant à la montée se révèlera assez technique dans ce sens. Je pensais aller plus vite mais il faut assurer chaque pas. S'ensuit la montée au pic Central qui concentre les trois longueurs "difficiles" (du 4/4+) de la voie. Finalement, ces pas-là seront franchis encore plus facilement que prévu. Les connaître est vraiment un +. On s'y engage serein. De toutes façons, si l'envie d'abandonner se faisait sentir après le premier passage, j'ai emporté avec moi un bout de ficelle de quinze mètres et mon Escaper alors, il n'y a réellement pas beaucoup d'engagement.
- 13h30. Arrivée à la Croix. Le même temps que ce que j'avais mis dans l'autre sens lors de mon premier parcours, qu'on avait amélioré de quinze minutes avec François (mais là, on était dans un mode vraiment express). Bravo à l'enfant de neuf ans qui y arrive (par la voie normale bien sûr) un peu après moi, monté d'une traite avec sa famille depuis pré Raymond (D+ = 1550 m).
- 13h45. Attaque de la descente. Je tire au plus court : traversée sous les rochers Rouges, descente directe du lac Blanc, ravin des Excellences, en compagnie d'une couple de trailers avec qui je discute tout le long en trottinant jusqu'au habert du Mousset actuellement en réfection (donc fermé cet été - une nouvelle cabane confort à venir sur le GR738 ?). A 15h30, je suis à la voiture. Même en buvant les indispensables deux litres dans les heures suivantes, je devrais avoir quelques courbatures étant donné mon manque d'entraînement actuel mais la satisfaction est là : le moteur fonctionne toujours bien et un objectif a été atteint.
Le matériel emporté. Casque Petzl Sirocco (170 g), harnais Petzl Altitude (150 g - on peut trouver deux fois plus léger ou mieux, faire avec une sangle mais je n'étais pas à ça près), cordelette basique (6 mm, 15 m) en cas de réchappe avec petit mousqueton à vis, deux bâtons légers pliables pour aide à la marche, chaussures Adidas Terrex Scope GTX (parfaite pour la grimpe, dommage que le fabricant l'ait stoppée !), petite laine, lunettes de soleil, petite casquette, crème solaire (Tingerlaat, la seule que je supporte, ne colle pas, ne coule pas), gourde filtre Katadyn vide (je boirai au fur et à mesure dans les torrents sauf 0,6 l emportés entre le glacier de Freydane et la Croix), couteau (il existe plus léger), smartphone, un sachet de graines, une compote (c'est lourd mais fort appréciable), une part de tarte salée, le tout dans un petit sac au dos aéré de 10 litres. A rajouter le petit appareil photo (Lumix GM5)