Une des faces les plus raides de Belledonne
Publié le 28 Octobre 2022
Quiconque est attentif aux parois ne peut s'empêcher de poser ses yeux sur cette face verticale lorsqu'il franchit le col de la Vache sur le GR738. La crête des Ilettes présente une antécime culminant à environ 2650 m d'altitude dont la face sud est d'une raideur remarquable, rare pour Belledonne. En "haute" montagne dans ce massif (excepté donc les rochers de l'Homme), à part le Grand Pic face ouest-nord-ouest et la face sud de l'aiguille Saint-Phalle, je n'ai pas trouvé de face aussi raide que celle-ci. Et un rocher orange unique. Quand on se balade sur les dalles faciles de l'autre versant, on identifie du granite, ce que confirme le site référent geol-alp.com. Mais ce même site annonce également du granite pour cette face sud. C'est ce que je pensais jusqu'à y poser mes chaussons. Le rocher n'a pas beaucoup de grain et ressemble à s'y méprendre au gneiss de la voie "flamme de Pierre" à la Saint-Phalle. Et quand on voit à quelle point on a galéré pour forer des trous (je n'ai jamais trouvé un rocher aussi dur), je me demande si ce n'est pas un gneiss un peu particulier. Ce qui est surprenant c'est que dans les trois longueurs du haut, le perçage était bien plus facile, comme si on avait changé de rocher. Mystère à éclaircir avec de vrais géologues.
Revenons à cette aventure. J'avais repéré cette face de longue date. L'ampleur de l'approche m'avait un peu dissuadé jusqu'à cet été. Début septembre, je mène une reconnaissance avec prise de photos. Un itinéraire est tracé. Rendez-vous est pris avec Julien.
Mardi 25 octobre. Premier créneau après un monstre orage de grêle. On monte avec tout le barda dont 70 plaquettes. Il nous faudra trois heures pour atteindre le pied de la face, avec prudence sur la fin dans le pierrier totalement verglacé par les grêlons. La face est sèche. Le soleil arrive. On laisse la L1 pour plus tard et on monte directement par la droite au futur R1. On attaque d'ici et je démarre la L1. Le début est beau et facile, ça déroule. Arrivé au relais après un pas coriace, je mets un friend pour sortir et ma vache sur le crochet pour installer le relais. Impossible de faire autrement tant la face est raide. Dans la manip', le crochet saute et je dégage. Le friend a tenu mais c'est pas bon pour le moral. Ju bataille dans L2 et trouve une issue. Un bon 6b+. Au relais, avec le voile qui s'installe, je suis frigorifié. Je pars dans la longueur suivante et place assez efficacement les premiers points avant de buter sur une impasse. A gauche, rocher peu sûr et compliqué à protéger pour percer. A droite une dalle lisse peu engageante. Ju repart et passera par la dalle lisse, finalement pas si dur. C'est quand même bon d'avoir de la marge. Le temps passe. Nous descendons en rappels. Tout le matos est laissé sous un surplomb au pied de la face. Nous rentrons charger les accus, les vrais et aussi ceux du cerveau. Un peu tendus quant à la suite qui s'annonce coriace.
Jeudi 27 c'est reparti. A vide, nous ne mettons que deux heures. On regrimpe les trois longueurs équipés. Punaise ça grimpe ce bazar. Ju' trouve une issue à la suite, après moult hésitations. Au relais, cette fois, il fait bon. Je bulle en assurant. La suite est finalement plus facile et je peux m'y atteler. On éloigne les points. Ca reste cohérent avec ce qui précède. Finalement, nous sortons au sommet. Nous descendons en 4 longs rappels et finissons la première longueur laissée pour la fin. Incroyable d'avoir pu réaliser ce projet.
Merci à Julien pour son amitié et son efficacité dans les longueurs dures où il fallait avoir un peu de marge et être capable d'engager.
Merci à Petzl pour le matériel : casques, dégaines mais surtout plaquettes, marteau etc.
Merci à la montagne de nous faire vivre de tels moments au milieu des bouquetins (très nombreux sur la marche d'approche), des aigles qui ont survolé la face le matin et des deux gypaètes barbus, les barbes rousses, qui sont venus nous saluer dans L7, quand nous savions enfin que c'était gagné, comme un clin d'oeil de la nature.
Topo.
Crête des Ilettes 2650 m, antécime est.
Voie Barbarossas 200 m 7 longueurs 6b+ max 6a+ obligatoire (à confirmer)
Ouverte du bas. 60 plaquettes ø10 inox Petzl. Prendre 10 dégaines et 2 sangles. Corde 45 m mais ça passe avec une 35 si on est sûr de sortir en haut.
Approche.
2h15 du Rivier d'Allemont ; 2h30 de la Betta.
De la Betta, monter au pas de la Coche puis suivre le GR738 vers le nord. On rejoint le sentier qui monte du Rivier. Le GR738 par vers l'est en direction du col de la Vache. On traverse un plateau herbeux avant de rejoindre des éboulis. A un moment, le sentier traverse à droite à environ 50 m de dénivelé sous la face. La rejoindre par un pierrier commode.
L1. Gravir le magnifique mur sculpté. Au sommet, soit monter à droite dans l'herbe soit tout droit vers un becquet (sangle) puis traversée horizontale à droite. 30 m. 5c/6a. 4 points
L2. Monter droit dans un mur gris puis traverser à gauche sur une dalle inclinée jusqu'à une fissure légèrement déversante. La remonter jusqu'à un trottoir. 25 m. 6a+. 6 points
L3. Droit le long d'une fissure puis partir à gauche sur une dalle. Remonter un dièdre évasé puis traverser à droite jusqu'au relais. Longueur très soutenue. 25 m. 6b+. 7 points.
L4. Franchir un petit dévers vers la droite puis gravir un beau mur. Traverser à droite sur une dalle pour rejoindre un petit dièdre. Poursuivre en ascendance à droite jusqu'à une terrasse de rhodos. 25 m. 6b. 7 points.
L5. Monter droit dans le dévers puis poursuivre jusque sous des surplombs. Traverser à gauche puis remonter un mur raide, les prises salvatrices sont sur la gauche ; attention à la grosse console à droite. Poursuivre droit jusqu'au relais. Longueur très soutenue. 30 m. 6b+. 7 points.
L6. Monter droit vers un petit dièdre puis en oblique à droite jusqu'à une petite terrasse. Tout droit sur un mur orange (grosse prises crochetantes) puis finir par du gris un peu lichéneux. Relais au sommet du pilier. 30 m. 5c/6a. 6 points.
Transition. Monter quelques mètres sur l'arête puis traverser à droite horizontalement pour trouver une plaquette rive gauche du couloir. On peut faire relais sur cette plaquette pour que L7 fasse un peu moins de 40 m et diminuer le tirage. Le premier point est un peu loin mais c'est du 3 ; en outre, il y a un très bon becquet sur la gauche. Avec une corde de 35 m, le second pourra démarrer sur cette section en 3 pour que le leader atteigne le dernier relais.
L7. Gravir un mur avec de très bonne prises et sortir sur la grande dalle sommitale. Traverser à gauche puis gagner le sommet par une grande oblique à gauche (points un peu loin mais c'est facile ; attention quand même à quelques prises amovibles). 40 m. 5b. 8 points.
Descente.
Possible en 4 rappels équipés sur maillons à R7, R6, R5 et R3 (de R1 on descend à pied). Le rappel à R5 est un peu pénible car en oblique. Il faut clipper 3 points de la longueur. Sinon, ça descend facilement à pied de l'autre côté.