Même si je me le note pour avoir une idée de mon volume et comparer mes saisons, une saison de ski ne se résume pas en dénivelé. Mais si certains confondent plaisir de la journée et cotation de la qualité de neige, une saison de ski ne se résume pas en étoiles. Même si j'apprécie de temps à autre de skier un beau couloir, une saison de ski ne se résume pas en nombre de pentes raides. Pour moi.
Même si chaque sortie n'est pas réfléchie pour être dans un fil conducteur, ma saison de ski mélange projets originaux, sorties entre copains, découvertes, beaux circuits, grosse poudre, sorties enfants... Parmi les projets, il y avait cette traversée de Belledonne. Amenée au grand public par Volodia (Shahshahani) et son récit de traversée non stop en moins de 24h Chamrousse - Gleyzin (4500 m de dénivelé) dans les année 90, cette traversée commence à être pratiquée régulièrement dans les années 2000. Si on se réfère aux information glanées sur les sites communautaires (qui restent une petite partie de la réalité, sans doute un peu plus pour les "grandes" réalisations), quelques groupes ont alors poussé plus loin, terminant majoritairement en Maurienne après le col du Tepey ou le Veyton (un peu plus de 5000 m de dénivelé). Pour des raisons logistiques mais surtout logiques, j'avais alors toujours eu l'idée d'aller plus au nord versant Grésivaudan, en dépassant la dernière ligne de crête marquée : celle du col de la Perche.
En 2009, avec Marco, nous partons de Chamrousse et réalisons le tracé suivant (voir sortie n°41) : Croix, la Pra, col de Freydane, épaule du rocher de l'Homme, roche Fendue, col de la Vache, rocher Blanc, col du Tepey, selle puy Gris, col Morétan, Coteau, col du Crozet, Saint-Hugon. Avec 5500 m de dénivelé, elle s'avère comme un nouveau parcours de référence mais il manque quelque chose : la traversée des férices vers les Grands Moulins puis la remontée pour traverser la Perche. L'année suivante, deux équipes dont Pierre Gignoux achèveront l'entreprise jusqu'au col du Grand Cucheron en dépassant les 6500 m de dnéivelé. Plus tard, Pierre fera même la traversée par dix sommets (près de 8000 m de D+, encore une autre dimension).
Je n'ai jamais eu la prétention de faire mieux que d'autres si ce n'est de trouver des idées qui parfois, sont originales. ici, plus d'originalité donc mais l'envie dans un coin de ma tête de faire cette intégrale. En tous cas de la tenter. En attendant, en 2013, avec Thibaut, nous faisons parler l'originalité en réalisant un Chamrousse -> Gleyzin en rajoutant des sommets et cols esthétiques en deux journées (ici et là) de dix heures avec nuit aux Sept-Laux totalisant 6500 m de dénivelé. Un très grand moment pour nous et vraiment une façon de faire que je recommande. Depuis 2016, j'ai la motivation pour tenter l'intégrale mais le créneau ne se présente jamais quand il le faut.
Cette année, il semble se dessiner un créneau fin mars et malgré une chute de neige intermédiaire, je décide de tenter l'aventure après quelques jours de beau. Seul. j'avais envie de me "mesurer" à cette entreprise en solitaire, notamment, tout l'engagement qu'il faut dans la partie de nuit. La Lune est à 85%, ce sera une alliée pour parcourir les montées sans lampe et avec de la visibilité pour anticiper.
Sachant que je ne vais pas beaucoup dormir, je décide de partir à minuit et d'avoir de l'avance. Patrick "Toto" m'aura été d'une aide précieuse en me montant à Chamrousse et me prêtant son appartement au pied des pistes. Je démarre finalement un peu avant minuit. Montée tranquille sur les pistes de ski et trois-quarts d'heure plus tard, je suis à la Croix. Descente vers les Roberts puis remise des peaux et montée à la Grande Lauzière. La trace de montée est quasi parfaite. bravo au(x) traceur(s). Cependant, je vois bien comme présumé que la neige n'est pas encore bien transformée. Plusieurs inconvénients à prévoir :
- la surface manque de petits pénitents : le ski va zipper hors trace. Et dans la trace, comme c'est ciré, ça zippe aussi régulièrement. Grosse dépense d'énergie en plus à prévoir.
- en profondeur, il reste de la neige froide. Quand on appui sur le bâton, il passe au travers. Quand ce sera mou il faudra tracer. Et le soir, la traversée vers les Grands Moulins pourrait être dangereuse.
Je prends donc un petit coup au moral car je sais que tout cela sera pénalisant. Deuxième coup au moral dans les descente de la face nord de la Grande Lauzière que je rajoute à l'ensemble pour l'esthétique : la neige en nord n'est pas top. Trop profonde avec beaucoup de traces. Zones soufflées/croûtées là où il n'y a pas de trace. Je force un peu. C'est pas très bon. Je descends à l'économie sans aller très vite. Idem pour monter au col de Freydane et en descendre de l'autre côté. Je me pose cinq minutes sous l'écrasante muraille du grand Pic. Je peux vous dire qu'à trois heures du matin, seul avec les étoiles, Belledonne prend ici une autre dimension qu'en été en short au soleil. c'est un moment énorme. Je sais que si j'échoue, cette traversée nocturne en solitaire sera en elle-même une réussite et ne me fera absolument rien regretter.
Rocher de l'Homme. Bonne trace pour monter mais pas bon en descente. Les jambes tirent au bas de chaque descente. C'est pas terrible. Arrivé à Roche Fendue, j'ai reperdu un peu de temps sur l'avance que j'avais ; aussi, je ne perds pas de temps à essayer de remonter pour rester le plus haut possible et traverse vers le pas de la Coche. je me sais énormément secourt. La neige est béton lustrée. Il ne faut pas se la coller. De nuit, il m'est impossible d'anticiper les passages à l'avance. C'est une erreur de passer ici de nuit, sans connaître parfaitement le tracé. Je décide d'aller le plus loin possible sans remonter mais me retrouve sous la traversée habituelle vers le plat de l'Aigleton dans un passage fort raide. j'ai suivi une trace qui me paraissait bonne mais le gars est passé en neige molle. Moi c'est béton et dessous ça plonge. La pente atteint quarante degrés légèrement nord donc encore plus lisse en surface. Je décide de ne pas m'y engager. C'est trop risqué à mon goût. Arrête au niveau d'un sapin je chausse les crampons et remonte. Quand je rejoins l'itinéraire normal, je me rends compte que toutes les tergiversations dans cette traversée, la manip avec le crampon qui ne tient pas bien (un des défauts du réglage du système Cord Tec de Petzl, c'est l'écart trop grand entre deux crans, il faudrait une molette micrométrique sur la talonnière) et cette remontée m'ont coûté trois quarts d'heure. Me voilà donc avec trente minutes de retard sur l'horaire prévu. Rien de catastrophique mais coup au moral ajouté à beaucoup d'énergie dépensée. Je doute beaucoup d'arriver au bout dans ces conditions. Un peu plus loin, avec le jour qui point, je m'aperçois qu'il faut traverser des zones lustrées par les coulées récentes. Bétonnées par le regel. Il va encore falloir forcer sur les carres...
Ce n'est pas ce que je suis venu chercher ici. J'ai toujours été dans une recherche des conditions. Mon niveau moyen de skieur m'a toujours poussé à rechercher la bonne neige dans le ski de couloir. Pour la sécurité. Ici, pour la sécurité mais surtout pour optimiser les chances de réussite, il me fallait d'autres conditions. Moins fatigantes. Je sais que je n'irai pas au bout. Je n'ai pas envie de me battre contre ces conditions. Je reviens sur mes pas et monte me poser faire une sieste au soleil sous les arêtes du Pin.
En descendant à contre-courant vers Prabert, je croise de nombreuses connaissances à qui j'explique pourquoi je redescends ici à cette heure incongrue : Sandrine et Yves, Laurent, Hervé, Steph, Benoit, Estelle et Pierre... Et merci à ma Val pour le taxi au retour !
J'ai compris aujourd'hui pourquoi j'avais chaque année un coup de mou de motivation au mois de mars. La neige de printemps m'enthousiasme moins que la neige froide mais surtout, les montées ne sont pas forcément de tout repos. Dès qu'il y a des pentes raides, les montées sont finalement parfois plus fatigantes que s'il faut tracer dans un peu de poudre. Quant à utiliser des couteaux, très peu pour moi. Rien que les manips pour les mettre, les enlever, la progression ralentie lorsqu'ils sont en place... ces engins sont "anti traversée de Belledonne". Sans compter qu'il ne seraient pas rentrés dans mon sac bondé.
Je garde cette traversée dans un coin de ma tête. Il est probable que si je la retente, ce soit plus tôt en saison avec des conditions anticycloniques d'hiver comme nous avons eu en février. Ou pas. Je n'en fais plus une fixation. Je sais aussi aujourd'hui que ma préférence va définitement aux grands tours en neige froide (autour de 3000 m de D+), à la fois esthétiques dans leur tracé et pas suffisamment long pour épuiser le bonhomme même s'il faut faire la trace en montée. Une expérience très enrichissante en tous cas que je nommerai "émotions nocturnes" tant aura été ce que je retiendrai de ce premier (petit) tiers de la traversée de Belledonne.