La prime pour retrouver le tueur de l'ours pyrénéen est toujours dans l'attente d'être distribuée. Tandis que certains élus, donc responsables de notre pays à leur échelle, encouragent "la montagne à rester muette". Autant je comprends parfaitement la détresse d'un éleveur lorsque celui-ci voit son troupeau attaqué, autant je n'accepte pas qu'une personne censée représenter l'ensemble des citoyens n'ait pas une attitude neutre ou en tous cas, conforme à la loi, loi qui n'a pas été respectée dans le cas présent. Cette attitude inacceptable de la préfète de l'Ariège est toutefois évocatrice des problèmes posés par les grands prédateurs, le principal étant le loup. Mais pour connaître un peu le sujet, il faut avoir conscience de comment le gouvernement essaie "d'acheter" une certaine paix sociale sans résoudre le problème. Pour cela, il faut s'intéresser à l'espèce.
Le loup est un carnivore de taille respectable. Il chasse principalement les grands ongulés. Tous y passent (chamois, chevreuil, cerf, mouflon, sanglier) ou presque (le bouquetin doit être une proie plus anecdotique). L'équivalent du mouflon version domestique est le mouton, du chamois la chèvre (c'est d'ailleurs le petit nom que l'on donne à la femelle chamois). Ces espèces font donc aussi partie du menu. Et de manière très occasionnelle pour des meutes spécialement nombreuses, de plus gros herbivores (équins, bovins).
Les chiffres Maploup pour 2020 sont éloquents : à la moitié de l'année, sur le dispositif des départements 26, 38, 73 et 74, on note 649 ovins tués pour 740 animaux domestiques au total soit à peine une centaine pour toutes les autres espèces réunies. Les bovins et caprins comptent pour 75% des restants. On peut donc se focaliser essentiellement sur le cas du mouton et essayer de comprendre pourquoi.
Si les bovins et équins peuvent mieux résister de par leur taille, les caprins et ovins sont plus vulnérables. Les élevages de chèvres sont rarement d'immenses troupeaux. Ils sont plus faciles à surveiller. Ils sont aussi bien moins nombreux. Le mouton en revanche est élevé en troupeaux modestes (300 têtes) à très intensifs (plus de 2000 bêtes). Pour ce dernier cas, il est impossible de les parquer chaque nuit et de les parquer tout court. Ils ont besoin d'espace. Ces grands troupeaux sont donc les plus vulnérables. Dernier point et non des moindres, l'attitude d'un mouton. C'est un animal qui n'est pas développé pour faire face au loup. Sa domestication par l'homme l'a rendu moins intelligent, moins vif. La fuite est quasi impossible. Dans un troupeau, c'est la fête pour le loup qui s'en donne à tous les cuissots qui lui passent sous les dents. Les moutons (de Panurge... pas appelés ainsi pour rien) fuient sans aucun bon sens. Il arrive qu'ils se précipitent tête baissée par-dessus une falaise. Le résultat pour l'éleveur peut être catastrophique.
Le mouton est donc une proie facile. Pourtant, certains loups ne s'y attaquent peu. Les meutes bien enracinées, avec plusieurs subadultes présents pour prêter main forte ont tout intérêt à rester sur de l'animal sauvage. Et les loups le savent. Quiconque a observé un loup dans la nature (généralement brièvement et de manière fortuite) a pu noter que l'animal s'est rapidement éclipsé. Parfois après quelques secondes d'observation, sans affolement. Mais éclipsé. Le loup hait l'homme. Contrairement à ce qu'on peut lire dans les journaux, les loups ne sont pas en train de modifier leur comportement et de venir faire des affûts près des villages pour attendre un enfant qui se serait un peu éloigné du reste de la troupe ! Le loup sait très bien que l'homme est son pire ennemi. C'est désormais inscrit dans ses gênes. Et donc, si la meute est bien organisée et installée sur le territoire de nombreux cervidés par exemple, ce sont ceux-ci qui auront sa préférence. Pour sa tranquillité. C'est typiquement le cas de la meute que je suis ; les prélèvements d'animaux domestiques par an se comptent sur les doigts de la main. Mais il n'y a pas que des meutes de loups. Il y a aussi des loups qui vivent (et errent) dans l'espoir de trouver/fonder une meute. Ces loups, souvent seuls, rarement à plus de deux, manquent d'expérience et de moyens. Ce sont souvent ceux-là qui s'attaquent aux troupeaux, par facilité. La faim les pousse.
Lorsqu'un éleveur subit une attaque, il peut remplir un dossier pour demander la présence du louvetier. Le louvetier peut être contacté pour des tirs d'effarouchement ou des tirs de prélèvement. Le prélèvement se fait aux abords du troupeau, en surveillant jour et nuit l'arrivée éventuelle des prédateurs. Cependant, une étude menée par Jean-Marc Landry, grand spécialiste du problème, montre que plus de la moitié des loups observés à proximité d'un troupeau n'a pas l'intention de s'y attaquer. Il s'agit juste de loups de passage. Dans ce cas, le tir éventuel ciblera donc moins d'une fois sur deux un loup responsable. Mais il y a pire. Le tir de défense renforcé : il est accordé et accompagné de plusieurs louvetiers avec un cadre élargi au-delà du troupeau (en gros dans les montagnes environnantes). Un ou plusieurs loups peuvent être abattus sans qu'ils soient à proximité du troupeau. Le pourcentage de chance que ces animaux avaient l'intention d'attaquer est encore inférieur... Ainsi, on ne tire pas les loups qui posent problème ou au moment où ils posent problème mais des loups "au hasard" de la rencontre. Dans le cadre de tirs de défense renforcée, l'élargissement géographique fait qu'on peut tirer carrément une autre meute que celle qui avait fait parler d'elle. Et le pire, sans distinction alpha/subadultes. Et en dégommant un loup alpha, la meute est complètement destructurée et cela se solde régulièrement par une dispersion d'individus qui se retrouvent dans le cas du loup seul, qui s'attaquera donc plus facilement à un troupeau. Voilà pourquoi le système actuel fait grincer des dents :
- chez les défenseurs du loup qui voient la destruction d'une espèce protégée sans que le problème ne soit résolu
- chez les éleveurs qui voient que le problème n'est pas résolu (et demandent parfois une augmentation des quotats)
Voilà les faits. Il faudrait aller plus loin dans l'étude du comportement des loups pour trouver des solutions viables. Il faut savoir aussi que beaucoup d'éleveurs préfèrent éviter les tirs de loups (y compris lorsqu'ils sont inquiétés) et ce, par respect du monde vivant. Ne pas se fabriquer des clichés "pour ou contre le loup". Et la protection des troupeaux, d'autant plus qu'ils ne sont pas trop importants, fonctionne régulièrement (mais pas toujours il est vrai) si les mesures sont bien appliquées : bergers de surveillance, chiens de protection en nombre suffisant (préconisations = 1 chien pour 100 ovins - mais on reste régulièrement en deçà d'après mes observations).
La saison d'été est lancée. Les moutons sont de retour dans les alpages (vus par exemple au col du Glandon). On aimerait tous (en tous cas c'est mon souhait) voir les attaques diminuer et les prélèvements de loups non atteints. De mon côté, malgré une petite déroute printanière avec une caméra volée, je poursuis mon apprentissage sur cet animal. Il est vraiment surprenant. Le couple alpha n'a pas fini de m'étonner.