Kilian Jornet est un immense personnage. Un mental et un physique hors normes lui ont permis de remporter la plupart des grands ultra-trails de la planète. Mais l'homme vit sa passion de la montagne à fond et ne se "contente" pas de faire de la basket sur sentiers. Il a transposé son mode ultralight à la haute montagne.
Kilian est un de ces rares sportifs qui arrivent à vivre de sa passion. Pour ce faire, il joue la carte de la communication tout en restant humble ce qui est tout à son honneur. Il apporte sa connaissance à l'évolution du matériel et des pratiques. Un peu comme l'était un Ayrton Senna à la formule un. Un jour adulé, le lendemain décrié par les mêmes (on se rappellera du record au Cervin et de, quelques jours après, l'hélitreuillage sur l'éperon Frendo en raison d'une bielle coulée par sa partenaire), il ne laisse personne indifférent. Qu'on puisse lui reprocher, en cas de sauvetage, des limites d'un équipement trop light peut se concevoir et prêter en tous les cas à discussion entre passionnés, mais parfois, il est des réactions qui me dépassent comme tout le matraquage effectué autour de sa performance à l'Everest. Kilian était parti pour établir une référence sur un aller-retour depuis le dernier village habité et non le camp de base mais il a dû s'arrêter au retour au camp de base avancé en raison de son état. Il annonce avoir attrapé un virus qui l'a retardé et affaibli dès l'altitude de 8000 m ; peut-être tout simplement qu'il n'a pas supporté l'altitude (à moins d'un véritable virus). Peu importe car au final, il a tout de suite annoncé qu'il n'avait battu aucun record. Son temps reste toutefois un des meilleurs jamais réalisés sur la portion camp de base -> sommet et une énorme performance depuis le dernier village. Il n'a pas fait mieux que Hans (Kammerlander) mais a ouvert les possibilités d'un aller-retour d'une traite depuis la civilisation. Et sans oxygène (bien sûr), ce qui reste exceptionnel car moins de 170 personnes l'ont réussi à ce jour depuis Reinhold (Messner) en 1978 avec Peter Habeler.
Bien sûr, la presse s'est emparée de tout cela et en a fait les grands titres. Plusieurs alpinistes sont alors montés au créneau en annonçant qu'il n'avait rien fait d'extraordinaire. Jalousie des uns ? Aigreur des autres ? Car il existe en effet cette rivalité entre "véritables" alpinistes (avec tout le barda qui sied) et les "collants-pipettes" qui les doublent en courant. Cette rivalité, par ailleurs, ne s'effectue que dans un sens (alpinistes -> coureurs). Serait-ce parce que les seconds, supposés non "montagnards" car venant de la course à pied, irritent par le fait qu'ils vont plus vite que les supposés expérimentés ?
Kilian n'a rien d'inconscient. Il ouvre la voie comme l'ont fait d'autres par le passé et dans d'autres registres. Ses records au Kilimandjaro ou à l'Aconcagua ont été battus. Et alors ? Il reste un immense champion. Les records sont faits pour être battus. Et, n'en déplaise à certains, Kilian est aussi un grand alpiniste. On n'oubliera pas ses réalisations majeures à skis de pente raide. Il reste le premier (et le seul à ce jour) à avoir skié sans aucun artifice la voie des Autrichiens aux Courtes, là où les plus grands champions (Tardivel, Malnuit, Lamiche...) avaient tous posé (au moins) un rappel. En admettant (ce qui n'est pas certain du tout) qu'il ait bénéficié de conditions un peu meilleures que les précédents, il n'en a pas moins fait parler la technique pour passer skis aux pieds. Et puis, savoir choisir LES conditions ne fait-il pas parti de la qualité d'un montagnard ?
On ne compte plus les premières à skis, pentes raides et/ou enchaînements. Les victoires aussi en ski alpinisme. L'aller-retour canon au sommet du Cervin depuis Cervinia (moins de trois heures) ou au mont Blanc depuis Chamonix (moins de cinq heures) explosant les précédents records. Alors certes, il ne se lance pas dans la face sud de l'Annapurna ou une Goussault-Desmaison en solo mais entre une chose et l'autre (il reste capable de faire la nord de l'Eiger derrière le regretté Ueli Steck en quatre heures et quelques et à la descente, Ueli avait bien qualifié que c'était tendu pour le suivre), Kilian aura marqué et apporté beaucoup au monde de la montagne.
Et pour faire taire les grincheux, voici qu'il revient à nouveau de l'Everest (qui, à ce jour, a déjà fait deux allers-retours sans oxygène depuis le camp de base en six jours ???) en approchant de très près l'horaire de Kammerlander (17h vs 16h45), avec comme passif, le premier aller-retour sûrement encore présent dans l'organisme. Et toc !
Bravo Kilian et merci Jocelyn d'être un des rares à retranscrire, au plus juste à mon humble avis, l'état des lieux autour du Catalan.
En parallèle, d'autres champions s'expriment plus près de chez nous. Pierre Gignoux ne se contente pas de s'asseoir sur ses victoires à la Pierra Menta et autres courses de ski-alpinisme en fabriquant ses chaussures en carbone. Il reste lui-aussi, à cinquante ans, un athlète hors pair. Vététiste de haut vol, parapentiste, il a aussi été le premier à réaliser une traversée intégrale de Belledonne à skis, de Chamrousse au Grand Cucheron, et avec la manière. Cette traversée, il l'a peaufinée pour en faire "Belledonne 8000", un périple de huit mille mètres de dénivelé avec dix sommets. D'une seule traite ! Cette année, il a aussi fait un Pralognan -> Grand Paradis en passant par la Grande C(l)asse (!!!). Mais il affectionne aussi les intégrales depuis la maison avec approche à vélo. Parti avec son staff l'été dernier de Saint-Martin-d'Uriage, il a rallié le sommet du mont Blanc (seul, tous les autres ayant explosé) avant de revenir en une vingtaine d'heures au bercail (350 km de vélo ; 5000 m de dénivelé en tout...). Récidive la semaine dernière vers le dôme des Ecrins avec deux grosses pointures du ski-alpinisme. Partis à trois, ils finissent à deux au sommet, Pierre étant devant, à la montée comme à la descente.
Tout cela a un lien : ce n'est sans doute pas pour rien si Pierre a "choisi" Kilian comme ambassadeur de sa marque (ou l'inverse - voire probablement les deux).