Le problème majeur qui se pose aux pratiquants de ski reste de limiter le risque d'avalanches. Les avalanches ont causé 423 accidents mortels (NDLR : nombre d'accidents mortels < nombre de morts) dans les Alpes Françaises (pour la France, ce qui suit ne tient donc pas compte des Pyrénées, du Massif Central, des Vosges, du Jura et de la Corse) en 23 saisons soit en moyenne 18 par saison (NB : 651 décès en tout en France sur cette même période soit une moyenne annuelle de 28).
A première lecture, ce chiffre peut paraître faible compte tenu du nombre de traces observées chaque saison en montagne, d'autant que la moyenne annuelle qui fluctue selon les années (il y a des périodes/saisons "dangereuses, d'autres qui le sont nettement moins) n'a nullement tendance à augmenter. Elle est même globalement stable. Mais il faut aller plus loin. Les statistiques ne nous donnent pas entièrement accès aux accidents non mortels avec séquelles plus ou moins graves qu'aucun d'entre nous ne souhaite. Allons encore plus loin. Qui est concerné ? Evidemment tout le monde mais pas de la même façon. On peut grosso modo scinder les pratiquants en trois catégories (c'est très schématique mais c'est pour donner une idée) :
1- Les pratiquants occasionnels à réguliers (mais sans plus)
2- Les passionnés (souvent/toujours dehors)
3- Les "vacanciers" en hors-piste (skieurs de piste qui sortent des pistes sans faire partie de la catégorie 1 ou 2)
Les premiers sont souvent raisonnables. Ils connaissent leurs limites (de connaissances). Ils se contentent d'itinéraires fréquentés, tracés, peu raides... et au final, s'exposent assez peu. Les troisièmes sont très exposés, d'autant que durant plusieurs années, nombre d'entre eux n'étaient pas équipés de matériel de secours (DVA/pelle/sonde). Ils faussent les statistiques sur les massifs de Vanoise et de Chamonix. Enfin reste la catégorie 2 dont je fais partie. Ceux-là se posent mille questions mais sortent quand même (pas n'importe où évidemment), par toutes conditions, recherchant la poudre, la première trace, la pente... De par leur pratique et la répétition, ils sont très exposés et s'intéressent a priori aux moyens de réduire le risque.
Il y a bien sûr des bases à acquérir/renforcer/entretenir : savoir se servir efficacement du matériel de sécurité si on en a besoin certes mais surtout choisir a priori un itinéraire "pas trop" dangereux en étudiant par exemple les bulletins d'estimation des risques d'avalanches et en observant attentivement sur le terrain. Il existe aussi des "méthodes de réduction" et des techniques (coin Suisse, sondage etc) sur place pour se faire une idée.
Sans êtes un spécialiste, je me rends compte que si je commence à tenir compte de tous ces paramètres, de manière quasi certaine, je ne mets jamais les pieds dans des pentes à plus de trente degrés durant les trois jours qui suivent une importante chute de neige voire davantage. Et nous savons tous que "la poudre", c'est le ski. Et que la poudre sans pente, ça ne glisse pas (bien). Et que trois jours après la chute, c'est désormais tout tracé, ou presque.
J'ai déjà exposé ma façon d'opérer sur le massif de Belledonne où je suis globalement toute la saison. Le BERA, c'est moi. C'est mon observation qui me permet de faire tel ou tel choix. J'applique également une sorte "d'intuition nivologique" difficile à expliciter ici par écrit mais qui est partagée par certains nivologues experts. Cela ne suffit pas. L'observation sur le terrain (et donc une présence constante) permet de connaître les pentes qui "partent" souvent. Elle permet aussi de voir qu'après telle chute de neige, rien n'a bougé alors que tel autre jour, il y a eu plusieurs plaques dans le même vallon, signes que cette fois-ci, le risque est avéré. Cela ne suffit toujours pas et ne suffira jamais.
Mais pour cette fois, je me suis intéressé au risque par massif. Les massifs sont-ils tous aussi "dangereux" les uns que les autres ? Pour ce faire, j'ai épluché les accidents d'avalanches depuis la saison 2000 grâce à la formidable base de donnée de Frédéric Jarry et de l'ANENA (un grand merci pour leur travail). Après réflexion, j'ai choisi de regrouper les accidents selon le découpage de la collection Toponeige. Chaque Toponeige (14 pour les Alpes Françaises hors Mercantour - non encore paru - que j'ai quand même inclus dans la base). Ce choix découle du fait que les Toponeige sont relativement homogènes en nombre de courses de base (entre 160 et 200 par secteur découpé) alors que les massifs ne le sont pas.
J'ai ensuite observé trois critères : le nombre d'avalanches ayant emporté au moins un skieur, le nombre d'avalanches ayant tué au moins un skieur et enfin le pourcentage d'accidents mortels au regard des accidents tout court. Ce sont bien des critères de dangerosité. Les deux premiers critères restent à pondérer par la fréquentation des secteurs, très variable. Le troisième (le pourcentage) n'a pas à être pondéré mais il peut donner un plus sur le profil des pentes fréquentées : les avalanches sont plus meurtrières d'autant que les pentes sont raides, de grande ampleur ou parsemées de barres rocheuses (massifs calcaires notamment).
Les secteurs (du nord au sud et d'ouest en est) sont les suivants (entre parenthèses, un indice de fréquentation de 1 - peu fréquenté à 5 très fréquenté) :
- CHA : Chablais (4)
- MBL : Mont-Blanc (5)
- ABB : Aravis-Bornes-Bauges (4)
- BAZ : Beaufortain-Lauzière (3)
- VAN : Vanoise (HC)
- CDV : Chartreuse-Vercors-Dévoluy (4)
- BEL : Belledonne (5)
- ART : Arves-Rousses-Taillefer (3)
- CTA : Cerces-Thabor-Ambin (2)
- ENO : Ecrins Nord (2)
- ESU : Ecrins Sud (2)
- EES : Ecrins Est (3)
- QUE : Queyras (3)
- UBA : Ubaye (1)
- MER : Mercantour (2)
On pourra discuter à + ou - un point de cette pondération. L'étalon reste Belledonne, à mon avis le plus fréquenté avec le Mont-Blanc. Viennent ensuite les massifs de l'ouest savoyard + les Préalpes du sud dont la fréquentation maximale de Chartreuse et Vercors est émoussée par celle, nettement plus faible, du Dévoluy. Les massifs de l'est sont intermédiaires lorsqu'ils sont lieux de villégiature (Queyras par exemple). Quant aux Ecrins, la préférence va généralement au Briançonnais quoique le Champsaur attire beaucoup de Gapençais (mais le chiffre est revu à la baisse de par le quasi désert du Valgaudemar, sans doute la vallée Française la moins skiée en hiver). Enfin, à l'écart des foules, Ubaye ferme la marche. La Vanoise est hors catégorie en raison des statistiques très augmentées par les hors-pistes occupant peut-être la plus grande superficie au monde sur un si petit espace.
Ce tableau montre une relative homogénéité (entre 25 et 35%). Mont-Blanc est très inquiétant, sans doute en raison de l'altitude et de la moyenne des pentes, mais aussi de par sa fréquentation, notamment en hors-pistes. A noter que le peu de statistiques sur Mercantour nous invite à prendre ces chiffres avec circonspection.
Conclusion : Il est probable que la fréquentation d'un massif comme Belledonne (fréquentation qui détruit en partie les couches fragiles), les redoux successifs plus nombreux (massif plus à l'ouest donc davantage sous influence océanique), l'altitude moyenne limitée de ses sommets les plus parcourus ou encore sa morphologie (vallons à profil concave, même très raides) en fait un massif moins dangereux que les autres. Au regard du nombre de skieurs qui le parcourent, les 15 décès de Belledonne sont bien moins inquiétants que les 14 du désert ubayien.
En parallèle, on ne se méfiera jamais assez des massifs présentant de grandes étendues blanches avec des ruptures de relief (pentes convexes) et d'altitude moyenne assez élevée : Cerces, Thabor, Arves, Rousses, Queyras et finalement, Ubaye). Et il va sans dire que la majorité de ces accidents interviennent sur des pentes froides et soumises aux vents (i.e. en hiver = nord et ouest).