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Publié le 4 Septembre 2018

C'est le nombre de personnes désormais autorisées quotidiennement sur la voie normale du mont Blanc versant Saint-Gervais. Pour y être passé plusieurs fois, je constate aussi un nombre non négligeable de personnes qui n'ont pas le niveau requis : physique (des horaires hallucinants, des rythmes "ressauthillariesques"), technique (attitudes sur les pentes de neige), de connaissances (sacs contenant 50% d'inutile, avec à côté des oublis, choix des passages...). Mais cette mesure préfectorale fait surtout suite à une fréquentation jugée trop grande ce que personne ne conteste.

Quelles sont les conséquences directes ?

- Des gendarmes seront placés quelque part, probablement vers Tête Rousse afin de filtrer le passage en échange de justificatifs : les réservations au refuge du Goûter seront les laisser-passer. Ceux qui partent de Tête Rousse devront aussi justifier de leur nuitée. Quant aux "summiters" à la journée avec un point de départ plus bas, ce sera sans doute après discussion qu'on les laissera (ou non) passer. Les autorités jaugeront de la capacité du prétendant. Comment ? A la tête du client ? A son matériel ? A son baratin ? (liste de course, vocabulaire ?). Sans doute un peu de tout ça.

- Il apparaît peu probable que le contrôle se fasse 24h/24 ; on va sans doute assister à des passages nocturnes plus réguliers.

- On risque peut-être aussi d'avoir des tentatives de contournement en terrain douteux (dangers supplémentaires) bien que la topographie des lieux ne le permette pas trop.

Quelles sont les raisons qui ont motivé cette règlementation inédite en montagne ?

- La sécurité. Je reste dubitatif sur ce point. La moyenne des accidents mortels sur cette voie est inférieure à quatre par an (chiffres Fondation Petzl sur la période 1990-2011) avec de fortes disparités (17 morts en 2017). Bien sûr chaque vie mérite d'être sauvée mais, compte tenu du nombre de passages sur cette voie (plus de 300 par jour favorable sur les trois mois estivaux), on peut considérer que le taux de décès reste très faible. De plus, l'assujettissement à la réservation de la nuitée est indépendant de la sécurité. Rien ne dit que parmi les futurs acceptés, il n'y ait pas les moins bien préparés à cet itinéraire. Pour faire du chiffre sur la sécurité, une mesure comme la division par deux du taux d'alcoolémie autorisé lors de la conduite aurait sans aucun doute des résultats bien plus probants... Il reste toutefois la sécurité en cas de problème (incendie notamment) dans un refuge dont les normes d'accueil sont souvent dépassées. Celle-ci ne peut être ignorée.

- Le confort. Là, c'est effectivement le véritable souci avec des refuges qui dépassent les capacités d'accueil et Jean-Marc Peillex, maire de Saint-Gervais-Mont-Blanc, fait preuve de bon sens en pointant du doigt un problème qui est loin d'être nouveau contrairement à ce qu'on laisse transparaitre : je ne faisais pas encore d'alpinisme dans les années 80 et je me souviens pourtant des reportages sur les couloirs de la mort, les gens qui dormaient sur les tables au Goûter... Cet inconfort, à des moments de pointe touristique, se retrouve dans les parcs d'attraction, à l'attente aux péages d'autoroute, à la benne de l'aiguille du Midi, à la sortie du dernier Star Wars, au concert de U2... avec les dangers liés en cas d'attentat, d'incendie, d'intempéries, de problème technique... Cela ne génère pourtant pas de règlementation et encore moins de verbalisation.

Pourquoi la montagne a-t-elle toujours ce traitement à part ?

- Dans le cas présent, cette limitation n'a que peu d'impact sur les retombées financières des partenaires (commune, CAF, professionnels du tourisme en tous genres)

- Elle pourrait même aller en sens inverse en augmentant le quota des guides de Saint-Gervais : en prenant un guide, vous serez assurés de la réservation. Cette limitation aura donc un fort impact sur les "sans-guide".

- Le mythe de "l'Alpe homicide" reste bien présent, un peu comme le rôle de LA Bête pour le loup. Les traditions ont la vie dure ; en particulier, les autorités s'appuient sur les jugements du grand public majoritairement néophyte. Un accident en montagne est souvent associé à un comportement suicidaire, de folie, d'inconscience...

Cette règlementation va-t-elle résoudre les problèmes évoquées ?

Il est encore tôt pour le dire mais :

- Pour la sécurité sur l'itinéraire, on en doute (voir supra), en tous cas pas significativement.

- Pour le confort, c'est possible mais il faudra attendre avant de conclure : les discussions vont être tendues entres les gendarmes (pour le coup, je n'aimerais pas en faire partie) et certains conquérants qui useront de tous les stratagèmes pour convaincre et on n'évitera pas les nuitées imprévues (et donc supplémentaires) d'alpinistes venus par les autres voies qui pourraient par la même voir leur fréquentation augmenter (d'autant plus que le niveau global des participants augmente)

- Elle reste un premier pas vers d'autres mesures de durcissement sûrement dans les cartons, qui pourraient avoir, cette fois, des retombées significativement positives sur les deux points (confort et sécurité) abordés.

 

Dans un monde de plus en plus normé, la montagne accouche donc d'un nouveau soubresaut. Nous sommes nombreux, parmi les pratiquants, à ne pas les cautionner. Les précédentes tentatives (on se souviendra par exemple durant l'hiver 1999 d'une interdiction de randonner à skis suite à l'avalanche de Montroc qui avait fait douze morts dans des chalets), très décriées, n'avaient pas trouvé de prolongation.

Nous espérons qu'il en sera de même avec cet arrêté qui reste en contradiction avec la liberté d'aller et venir. En même temps, la liberté de chacun s'arrête là où commence celle des autres. Cette limite, reconnaissons-le, peut paraître floue dans le cas présent. Mais la montagne comme la mer restent les derniers terrains sans règle. Malgré des activités connexes telles le trail et le ski-alpinisme qui tentent de poser des règles, la montagne de chacun d'entre nous est libre. Et, mis à part quelques pépins ça et là, avec des risques que nous connaissons et acceptons, il faut reconnaître aussi que ça se passe généralement bien et que la nature est indulgente y compris avec les inconscients (A l'inverse de l'inconscient qui travaille sur des machines humaines dangereuses : il est généralement rapidement rappelé à l'ordre).

Si l'on persiste à souhaiter une diminution pure et simple de la fréquentation du mont Blanc via le Goûter, j'avais évoqué la possibilité de fermer définitivement le refuge homonyme. Cela me paraissait bien plus intéressant que la fameuse liste de JMP qui frisait le ridicule et dont on ne parle presque plus. Mais cette mesure, pourtant tout à fait en accord avec cette idée de diminution et en adéquation avec le niveau physique grandissant des "touristes montagnards" (expression regroupant tout le monde, du plus néophyte à l'expert de haut niveau), ne l'est sans doute pas du tout avec ce qui reste encore et toujours le nerf de la guerre : l'argent !

​​​​​​​Dans tous les cas, c'est un beau sujet de dissertation. Vous avez deux heures !! Top !

Rédigé par lta38

Publié dans #humeur

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D
Merci pour le tour d'horizon de la situation ; je crois que tout est dit.<br /> Le jour où je surmonterai mon aversion pour les foules en montagne afin de gravir le Mont Blanc, ce sera par la voie du Pape pour éviter tout ce "chantier" !!
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