Chasseurs et non chasseurs

Publié le 3 Février 2016

Chasseurs et non chasseurs

Mercredi 3 février se tenait à Grenoble une table ronde sur la cohabitation entre les chasseurs et les non-chasseurs sur le terrain. Motivée par deux accidents qui ont causé le décès d'un randonneur aux portes de Grenoble (commune de Revel, voir ici) et d'un traileur aux portes d'Annecy quelques jours plus tard (sur le massif du Semnoz), tous deux visés et tirés avant identification absolue de la cible d'après les premiers éléments des enquêtes (la justice nous donnera le verdict lorsque tout aura été épluché), cette soirée a été organisée à l'initiative de Montagnes Magazine.

Animée par Ulysse Lefebvre et Leïla Shahshahani, la soirée a commencé par une présentation des (et un enchange entre les) intervenants qui ont orchestré ce débat : Pierre Athanaze (président d'action nature rewillding France), Antoine Berton (rédacteur en chef du magazine "le chasseur français"), Jean-Yves Bouvet (directeur de l'ONF Isère), Catherine Courade (présidente du comité régional Rhône-Alpes de la FFCAM) et Frédi Meignan (président de Mountain Wilderness). Ont suivi un débat et des réponses aux questions du public qui étaient fort nombreuses. Pour finir, la maison de la Montagne de Grenoble et Didier Minelli avaient prévu un petit buffet pour le petit groupe ayant choisi de prolonger la soirée.

Il était question d'aller au-delà du clivage pro/anti chasse même si cette scission s'est forcément retrouvée dans certaines interventions. L'objectif était de dégager des pistes et des propositions afin d'améliorer la sécurité de tout le monde. Nous avons retenu :

1- la création de zones de non chasse sur les secteurs très fréquentés

2- la diminution du nombre de jours chassés dans la semaine

3- l'harmonisation de la signalisation lors de chasse en battue au grand gibier

4- la facilité d'accès aux informations sur la chasse (réserves, date et lieu des battues...)

5- le renforcement des contraintes lors de l'acquisition du permis de chasse

6- le renforcement des contrôles sur le terrain

Chasseurs et non chasseurs

Point 1. Un des temps forts de la soirée fut l'intervention du père du traileur tué au Semnoz. "Il y a trop de monde ; cette cohabitation n'est plus possible". Il est clair qu'autour des grands points de départs des randonnées et sur les sentiers les plus fréquentés, un périmètre s'impose aujourd'hui comme il en existe déjà un autour des habitations (150 mètres). Une intervenante a justement remarqué que la proportion dans la salle (cinq chasseurs au milieu de nombreux autres promeneurs en tous genres) était proportionnelle à ce que l'on trouvait sur le terrain (environ un million de chasseurs pour vingt ou trente millions de randonneurs au sens large du terme) en disant "Quand est-ce que la majorité va arrêter de se plier à la minorité ?".

Aujourd'hui, la minorité (les chasseurs) a des règles et des consignes restrictives alors que les autres n'en ont que peu. Cependant, comme l'a rappelé Erige de Thiersant, la montagne est devenue ultra fréquentée de nos jours. En vingt ou trente ans, une véritable mutation s'est opérée. Les règles de la chasse ont été élaborées il y a fort longtemps. Il semble évident qu'aujourd'hui, elles doivent être revues au niveau de l'occupation de l'espace. Un des facteurs à ne pas oublier est l'effet émotionnel de cette activité, effet que je connais bien de par mes affûts au brame du cerf ou lors d'une tombée de cinquante centimètres de poudreuse et qui peut parfois nous faire perdre nos moyens. Si rater une photo peut paraître anodin, cela change radicalement avec un fusil à la main. L'adrénaline, la tension alors qu'on entend une "bestiole" arriver est peut-être ce qui a causé les décès sus-évoqués. En tous cas, les tirs volontaires sur des humains de la part de chasseurs ne sont qu'exceptionnellement des meutres lors de conflits entre personnes. De même que la confusion avec le chevreuil ou le sanglier n'est pas possible. Il s'agit de tirs sur des cibles non identifiées ayant pu être provoqués par un manque de maîtrise.

Antoine Berton a rappelé à ce sujet la nécessité d'être familiarisé avec l'utilisation des armes par des activités comme le club de tir.

Point 2. Cela fait longtemps que des pétitions circulent pour l'abolition de la chasse le dimanche. Les deux accidents dont nous avons parlé ont eu lieu le samedi. Les chasseurs défendent ce droit de chasse le dimanche car ils travaillent aussi en semaine pour les non-retraités. Certaines ACCA, comme en a témoigné le président de celle de Mont-Saint-Martin en Isère, prennent elles-mêmes des initiatives comme l'arrêt de la chasse les mercredis et dimanches après-midi mais cela reste isolé. La France est un des rares pays européens où l'on chasse six jours par semaine. La plupart des autres états n'autorisent la chasse que deux, trois ou quatre jours hebdomadaires. La chasse est véritablement enracinée dans la culture française.

Point 3. Le balisage est anarchique. Certains randonneurs comprennent le "soyez prudents" comme "je fais attention" (mais comment ?) et d'autres comme "je fais demi-tour". Certains ont témoigné que la vue d'un panneau avec un sanglier courant, doublé de la mention "soyez prudents", leur laissait penser qu'ils fallait faire attention... aux sangliers. D'où l'unanimité dans la salle pour une signalisation unique et claire. Les chasseurs recommandent aux autres utilisateurs de se signaler, clochettes et gilets fluo. Personnellement, pour un certain nombre de raisons que je ne prendrai pas le temps d'exposer ici, je n'en ai nullement envie et pas uniquement lorsque je vais au brame du cerf. L'ensemble des autres intervenants n'y semble pas non plus favorable.

Où est Charlie ? A plusieurs kilomètres, aux jumelles, le gilet fluo ne m'a pas échappé. Crop d'une image au 500 mm ; Belledonne ; automne 2015

Où est Charlie ? A plusieurs kilomètres, aux jumelles, le gilet fluo ne m'a pas échappé. Crop d'une image au 500 mm ; Belledonne ; automne 2015

Point 4. Des randonneurs sont intervenus en disant qu'il n'y a pas moyen de trouver en ligne une information sur les zones de battues afin de préparer leur randonnée. Il semble que cette information ne soit effectivement pas disponible. Il se pourrait qu'il n'y ait aucun effort de la part des ACCA sur ce point de peur que des anti-chasse ne les utilisent pour aller perturber le déroulement de l'activité. Pierre Athanaze, fin connaisseur des lois, a rappelé que la chasse était protégée en France et que tout acte visant à la perturber était passible d'une verbalisation (j'ai oublié le montant mais on doit pouvoir trouver ça facilement en ligne). Il suffirait donc d'une loi pour rendre obligatoire cette information.

D'autre part, le photographe animalier Denis Simonin a expliqué la difficulté qu'il avait eu à se procurer, autrement que par un déplacement en mairie, la cartographie des réserves de chasse permanentes. La communication ne semble donc pas le point fort des chasseurs.

Point 5. Un des points importants de cette soirée est d'avoir rappelé/appris (le plus souvent) au grand public les contraintes d'acquisition d'un permis de chasse et les règles de l'activité. Le permis n'est passé qu'une seule fois et conservé à vie (comme en voiture). Les plus anciens ne l'ont jamais passé puiqu'ils suffisait de payer une vignette et d'adhérer à une fédération départementale (jusqu'en 1975). Et il a fallu attendre 2003 pour avoir un examen pratique ! On peut passer son permis à partir de quinze ans et sans limite d'âge. Et en cas d'accident mortel, on risque, pour homicide involontaire, une amende de 3000 euro et la confiscation de l'arme ; éventuellement de la prison avec sursis. Pierre Athanaze a rappelé qu'en cas d'accident dans n'importe quel milieu, la personne directement responsable mais aussi son supérieur hiérarchique, l'entreprise et son directeur (PDG, gérant...) et j'en passe, sont entendues et passibles de pénal. Dans le cas de la chasse, le chasseur et seul le chasseur est impliqué. Là encore deux poids/deux mesures. Une implication des ACCA et de leurs dirigeants obligerait à une plus grande rigueur et à une meilleure formation des chasseurs. Quand on lit tout ça en 2016 avec les normes draconniennes de sécurité qu'il faut pour poser le moindre chiote public sur un parking de départ de randonnée, ça fait peur. En outre, quid d'examen de la vue, d'examen psychologique (et annuellement renouvelés) qui paraissent indispensables aujourd'hui quand on voit que pour courir un petit trail de dix kilomètres il faut passer par la case médecin et l'obtention d'un certificat de non contre-indication à la pratique de la course à pied ?

Point 6. C'était une de mes questions mais le planning chargé ne m'a pas permis de la poser. Combien y-a-t'il de garde-chasse en Isère (en France) ? Au vu de ce que j'ai pu (non) observer sur le terrain, certainement très peu, trop peu pour pouvoir faire le moindre contrôle, sachant qu'eux-aussi ils sont soumis aux 35 heures (ou presque), chargés de multiples autres tâches bureaucratiques et de terrain (braconnage...). Aussi, on peut faire un raccourci : le contrôle de la pratique de la chasse est à peu près nul. Les intervenants ont rappelé que les respects des distances de sécurité, le "cassage" du fusil au croisement d'une tierce personne, les règles de non-présence aux abords des zones habités et des infrastructures de déplacement (routes carrossables) sont trop souvent baffoués et je peux le confirmer par mon observation sur le terrain. Antoine Berton, qui ne parlait pas au nom des chasseurs mais en le sien, a expliqué qu'en tant que chasseur, il s'imposait toutes ses règles. Et Frédi Meignan de réagir "Si tout le monde est comme vous, il n'y a pas de problème mais vous êtes un OVNI !"

Chasseurs sur une crête de Belledonne (archives, automne 2015)

Chasseurs sur une crête de Belledonne (archives, automne 2015)

Cette soirée est loin d'être négative car elle a apporté des éléments de réponse au grand public et des pistes de réflexion qui parviendront sans aucun doute aux oreilles des dirgeants.

Mais l'enracinement de la chasse dans notre société française fait qu'il est difficile de faire bouger les choses et que l'évolution est très lente. Il faut rester optimiste même si, un des points cruciaux de cette table ronde aura été l'absence remarquée et volontaire des instances de la chasse ; les fédérations de chasseurs ayant décliné l'invitation

C'est bien la preuve d'un certain malaise et d'une volonté de ne rien changer. Antoine Berton, pourtant invité en tant que chasseur, ne s'est d'ailleurs jamais exprimé au nom des chasseurs et il sait pourquoi.

Même si le nombre d'accidents mortels est en légère baisse régulière (le nombre de chasseurs aussi), il ne faut pas oublier que vingt morts par an, ce sont vingt morts de trop. Quelqu'un l'a comparé au nombre de tués par avalanche. Le skieur accepte d'aller tutoyer ce risque. Le randonneur n'accepte pas le risque d'aller se prendre une balle, d'autant que la chasse reste une activité récréative, l'argument de la régulation souvent avancé étant discutable. Quand on sait que certains chasseurs relâchent des animaux pour pouvoir les tirer ensuite, agrainent les sangliers et sont régulièrement anti-prédateurs, on comprend qu'une première régulation dépend de leur comportement. Et quand bien même elle serait indispensable, ne serait-il pas préférable de la confier à des professionnels qui seraient à la fois qualifiés et non concernés par le paramètres émotionnel ? A défaut (car qui dit professionel dit financement), des opérations ponctuelles de prélèvement (avec partage du "butin" entre les protagonistes) pourraient être organisées par les ACCA sur des secteurs exceptionnellement "bouclés" ou très surveillés pour l'occasion.

L'automobile tue davantage me souffle-t-on dans l'oreillette. Eh bien, tout comme pour la chasse, je suis favorable à un durcissement des régles d'acquisition et de conservation du permis de conduire, assujetties à un comportement citoyen et vigilant bien au-delà de ce qu'il est actuellement. Et puis ne doit-on pas essayer de guérir les bronchites sous prétexte que certains meurent du tétanos ?

 

Il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin et provoquer une autre rencontre avec cette fois, les fédérations de chasseurs.

Le retour de Guillaume Laget.

Fusils et baskets par Volodia Shahshahani.

Le compte-rendu de Montagnes Magazine par Leïla Shahshahani.

Rédigé par lta38

Publié dans #humeur

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C
Merci pour cet article très intéressant ;<br /> Une question : savez vous pourquoi la réduction de la puissance et de la portée des armes a feu utilisees par les chasseurs n'est jamais ou rarement évoquée comme piste pour reduire les risques d'accident ?
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L
Bonjour Christophe. Non je n'en ai aucune idée. Mais ce que je pense, c'est que la balle perdue à un kilomètre cause rarement un accident grave car une balle, c'est petit. Les accidents sont la plupart du temps dus à des erreurs d'identification (= tir par précipitation) d'où l'importance, selon moi, de diminuer en priorité la cohabitation par une règlementation de la chasse plus stricte sur les plans spatial et temporel.
F
Merci !<br /> Très intéressant et en effet, il faut aller plus loin. Comment réussir a faire venir les association qui fuent le débat et apparaissent alors comme bien laches ?
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L
Il faudrait passer au crible les compte-rendus d'accidents mais c'est clair que la balle a remplacé la chevrotine (sauf en Corse !!) pour limiter les animaux blessés et non tués.
C
Vous êtes sur ? Voici ce que dit un chasseur ici :<br /> https://www.google.fr/amp/s/www.midilibre.fr/amp/2014/02/01/chasseurs-la-peur-des-balles,816267.php<br /> "J’ai laissé tomber le sanglier, assure Maurice Orange, depuis l’interdiction de la grenaille parce que, soi-disant, on blessait trop d’animaux (lire ci-dessous). Aujourd’hui on ne chasse pratiquement plus qu’avec des carabines dont les impacts peuvent être mortels à trois kilomètres. Leur puissance est telle que la balle peut ricocher sur une pierre. Chasser avec le ventre noué par l’angoisse, ce n’est plus un loisir."
L
Il faut multiplier ces initiatives. J'espère une prochaine rencontre avec cette fois les fédés de chasse.
D
Merci pour ce compte rendu instructif.<br /> Je me permet juste de relever une erreur mais elle est d'importance: il n'y a pas de périmètre autour des habitations. Seul le tir en directions des habitations est interdit. Il y a juste un "périmètre d'action d'une ACCA" qui s’arrête à 150 m des maisons, mais ce n'est pas une limite de chasse. <br /> Je n'ai pas les sources mais on retrouve facilement cette info sur le site de la fédé de chasse.<br /> J'avais recherché l'info il y a quelques mois, après avoir observé des chasseurs tirer des blaireaux (l'animal!) , de nuit, depuis mon parking, à moins de 20 m de ma maison, et dans une direction très proche de la maison de mes voisins...
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L
Tu as raison. Le périmètre d'action des ACCA s'arrête à cent-cinquante mètres des habitations. Mais seul le tir est réellement interdit en direction des habitations. La loi Verdeille donne les pleins droits à la chasse sur les terrains des petits propriétaires (à partir de 20 à 60 ha selon les ACCA, le propriétaire peut choisir d'interdire la chasse). Pour le contrer, la meilleure chose reste le refuge LPO, crée d'ailleurs au départ pour cette "utilisation" me semble-t-il.